Nos nuits programmables

Nous dansons
Sous le verre incassable
De nos téléphones portables.
Sept millimètres de silice
Entre nous et le soleil
Entre nous et la pluie
Qui glisse sur la dalle lisse
De nos téléphones portables.

Lovés dans l’espace stérile
Entre batterie et écran tactile,
Nous cultivons les terres rares
De nos illusions biodégradables
Et nos âmes digitales
S’habillent pour sortir le soir.
Jamais plus la brûlure du soleil.
Le vent.
L’été.
Et les étoiles perdues
Au fond de nos nuits programmables.

C’est triste de manger seul

_ Pourquoi, il n’y a que des vieilles personnes ?
_ Il n’y a pas que des vieilles personnes.
_ Si.
_ Ah bon, tu trouves ?
_ Oui.

Je sens le regard de ma voisine qui balaie la salle. Moi j’attends. Je fais comme si. Comme si je n’avais pas entendu. Pas suivi leur conversation, jusqu’à cette question.

_ Pourquoi il n’y a que des vieilles personnes ?

Assise une table plus loin, la maman tente une explication.

_ Si on était venus plus tôt, avant midi, il y aurait eu beaucoup de jeunes.

Ah ouais.  Vraiment ! Alors, j’aimerais bien savoir pourquoi les jeunes mangent avant les vieux. Le petit garçon aussi, une moitié de tête tranchée par une moitié de pizza. Pour la forme, je tourne une page du livre que je ne lis pas.

_ Mais oui, les vieilles personnes viennent quand il y a du monde, tu vois. Elles sont seules et quand elles sortent c’est pour voir des gens. C’est triste de manger seul.

Le regard du petit garçon, je le sens bien, et sa question aussi, qu’il voudrait bien poser à ce monsieur âgé qui déjeune dans sa diagonale. Ok, vas-y mon gars, sois pas timide, sois pas trop bien élevé.

_ Dis-voir, monsieur, tu es pas triste de manger tout seul ?
_ Triste, moi ? Je vais te dire. Tu verras quand tu seras grand. Les obligations. Les réunions. Les convenances. Et surtout, parler. Parler tout le temps. De la pluie et du beau temps. Parler, mon ami. Dire des mots mille fois répétés. Des mots que tu auras épuisés, usés jusqu’à la corde, jusqu’à oublier leur propre identité.
Un jour ces mots resteront coincés au fond de ta gorge et ce jour-là, tu verras, ton assiette te parlera.

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