Entre deux secondes

Il arrive parfois que le temps bienveillant retienne l’aiguille des secondes et vous laisse entrer dans un instant immobile, un instant figé dans le temps. On s’y glisse, en suspension entre deux mondes, et ici il n’y a que la neige, les arbres et le vent.
Aucun bruit.
Les deux skis en équilibre sur leur carre intérieure, droite, gauche, aucun effort, aucune résistance, une infime poussée à la sortie du virage et le monde revient à la verticale. Le corps facile dans la répétition de ce mouvement aussi simple que le battement régulier de mon coeur.

 Ça ira mieux avec une main

_ Bonjour, comment ça va ?
_ Bien et toi ?
_ Pas trop mal avec ce temps.

Il faut bien qu’on se renifle un peu le derrière avant de parler de notre prochain cancer.
Mais quand même, comment ça va, cent fois, mille fois, comment ça va, alors qu’on n’attend pas de réponse, comment ça va, virgule sonore aussi obsédante qu’une secousse imprimée au cul d’une bouteille d’Orangina.
Secouez-moi, secouez-vous! Ensemble, trouvons autre chose, une autre expression, une vraie fausse question rhétorique genre : « Est-ce que la terre est bleue comme une orange ? »

Mais non. Comment ça va. Sans imagination. Sans point d’interrogation. Manière de dire que je t’ai bien vu sur mon chemin, mais je suis pressé, j’ai une tonne de courrier à trier. Alors, tire-toi de là, et vite.
Traduit de l’américain : « Comment est-ce que ça se passe pour toi ce matin ? » Tu veux vraiment le savoir cher frère humain étatsunien ? Avec huit heures de décalage dans le buffet, j’ai ma tête entièrement enfoncée à l’endroit que tu connais bien. L’odeur de café grillé retourne mes intérieurs. La flaque luisante de l’omelette et ton sourire gélatineux me bouchent les coronaires. Au secours ! Je manque d’air.
Comment je vais ? Vraiment ?
Je vais nulle part, et pour les salamalecs d’usage, j’aimerais qu’on se taise, qu’on ne dise plus rien.
Qu’on se fasse juste un signe de la main.

Guerre aux marrons

Des marrons,
De la chair à canons,
Eléments de fourrage
Pour Noël sans nuage.

Un jour de paix
Pour réparer les barbelés,
Eloigner les enfants,
Faire le plein de carburant
Et la poussière dans les tranchées.

De l’autre côté de la table
Les verres sont alignés-couverts
En formations perpendiculaires.
Une détonation, 
Un bouchon qui saute au plafond.
Du crépitement des bulles verticales,
Une bedaine remplie de dinde et de médailles
Tire un rot magistral
Et une autre raison de faire la guerre.

Patti écrit

« Time contracts. We are suddenly approaching Paris. Aurélien is sleeping. It occurs to me that the young look beautiful as they sleep and the old, such as my self, look dead. »

« Le temps se contracte. Tout à coup nous approchons de Paris. Aurélien dort. Je me dis que les jeunes paraissent beaux dans leur sommeil et les vieux, comme moi, ont l’air mort. »

Patti Smith – Devotion – 1992