La véritable origine de l’automne (17)

– En vérité  je te le dis, Adam, écoute-Moi.
Il existe, comme Je te l’ai dit, un principe fondateur, un commandement premier indiquant qu’en aucune manière Dieu n’altérera une créature qu’Il a façonnée de Ses propres mains. Adam, J’ai façonné ton corps dans la glaise. J’ai sculpté ton visage et tes mains. Je t’ai donné tout qui est nécessaire et Je t’ai offert en cadeau la faculté de communiquer. Aujourd’hui tu Me parles. Tu marches. Tu cours dans Mes prairies où coulent le lait et le miel. Tu bois à Mes sources d’eau claire et tu te repais de Mes fruits. Le soleil te caresse et la nuit te sourit. Les heures qui passent glissent sans bruit sur la surface de ta peau lisse. Éternel passager  d’un été immobile, tu es aujourd’hui très exactement ce que tu seras demain. Tu ne connais pas la peur, ni la faim ni la soif, ni le bruit de faulx que fait le temps qui passe. Tu regardes les nuages qui traversent le ciel sans savoir qu’ils peuvent crever d’un seul coup dans un bruit de tonnerre. Dans ton monde, pas de tempêtes, pas de cris, pas de larmes, juste quelques gouttes de pluie, tièdes et parfumées qui illuminent les ombres sur ton visage. Ici, il n’y a pas de nuits sans sommeil, pas de réveils blafards, pas de petits matins gris et figés par le gel : rien de tout ça, Adam; ici, il n’y a pas de froid.

– Tu dis ça, mais là, on supporterait bien une petite laine.

– Tu ne connais pas le froid, Adam, les mouvements fluides de son corps sinueux et long lorsqu’il remonte lentement le cours de tes veines, inexorablement vers le cœur pour consumer les derniers restes de ta chaleur. Prie ton Dieu de ne jamais avoir froid : tu ne le supporteras pas. Si jamais tu t’oublies, Adam, il Me restera le froid.

– Bien. C’était la minute météo. Maintenant si tu pouvais m’expliquer ce que tu comptes faire avec ce boudin autour du doigt.

La véritable origine de l’automne (16)

Dieu tira de sa manche un disque diaphane aux bords renflés qu’il déposa délicatement sur le sommet de Son index.

– Adam, mon enfant, je te demande de m’accorder toute ton attention. N’aie crainte, ce ne sera pas long.

– Ah je veux, oui ! Je te signale quand même qu’il est quatre heures du matin.

– Donc, je vais te demander un petit effort d’imagination. Ceci est Mon doigt. Maintenant, nous dirons, pour les besoins de la démonstration, que ce doigt représente ton sexe…

– Mon sexe ? Tu m’excuseras, mais je ne vois pas très bien le rapport entre ton doigt et ce truc mou qui me pend entre les jambes.

– Adam ! Quand donc cesseras-tu de m’interrompre ? Je disais que ce doigt représente ton sexe, lorsqu’il se trouve en érection…

– Bien sûr. Et pourquoi pas en lévitation, tant qu’on y est ? Sacré Dieu ! Quand même ! C’est vrai que tu es un peu sensible sur le protocole, mais il faut bien reconnaître qu’on ne s’ennuie pas avec toi.

– Adam, si tu continues  de M’interrompre, Je ne réponds plus de Moi.

– Bon, bon. Mes excuses ton altitude. Vas-y, accouche, parle-moi de ton doigt.

– Bien. Reprenons. Ce doigt représente ton sexe en érection. Un processus complexe qui a nécessité de longues heures de mise au point. Pour résumer nous dirons qu’il s’agit du passage d’un état mou à un état rigide.

– Génial. Ça c’était en V.O. Maintenant recommence ! Mais avec les sous-titres.

– Adam, mon enfant, c’est un peu délicat, mais tu es en âge de comprendre. Voilà. Il peut arriver, selon certaines circonstances que ton sexe passe de l’état mou à l’état rigide.

– Ah oui ! Et comment je m’y prends pour réussir ce petit tour de magie ?

– Il n’y a rien de magique. Seulement un peu de mécanique des fluides et un système de fermeture automatique des portes.

– Dieu est incroyable ! Tu lui demandes juste de t’expliquer comment fonctionne ton sexe et il t’invente la rame de métro.

– Adam, Je te préviens : Je vais perdre patience. Il se trouve que dans certaines circonstances, un stimulus extérieur pourra provoquer en toi des émois tels que ton sexe durcira, qu’il se redressera et alors, il faudra immédiatement déposer cet objet à son extrémité et de le dérouler sur toute sa longueur, exactement comme ceci.

L’index dressé de Dieu se retrouva entièrement recouvert d’une fine membrane translucide. Adam considéra ce doigt ganté de latex 100% naturel. Il avança une main timide vers cet objet inconnu. Le contact avec la surface le laissa interdit : c’était lisse, flasque, à peine tiède, et surtout c’était un peu visqueux. Adam eut un mouvement de recul. Il essuya vivement sa main sur un pan du manteau de Dieu. Sans relever la tête, il murmura :

– Y a pas à dire, Dieu, t’es vraiment un grand malade.

La véritable origine de l’automne (15)

Dieu, qui était infiniment bon, se sentit infiniment las. À fleur de peau. Infiniment au bout du rouleau. À bout de patience. Au bord extrême de la crise de nerfs. Il s’obligea à fermer les yeux et à former dans Son esprit un chapelet d’images positives : des champs de fleurs, un troupeau d’antilopes, la mer, l’aube, une cascade…

– J’AI DIT : « ILS TIRENT UN COUP, EN SOMME. » HO ! Y A QUELQU’UN LA-HAUT ? DIEU ? TU DORS ?

– Non Adam, je ne dors pas. Je médite.

– Comme ça, en plein milieu de la conversation. Dieu ferme les yeux. Dieu médite. Et tu trouves ça poli ? On est là à discuter tous les deux et hop, Dieu ferme les yeux. Dieu s’absente. L’abonné mobile ne peut pas être atteint pour le moment. Prière de rappeler plus tard.

– En parlant de prière, il serait grand temps que Je t’apprenne à t’adresser à moi en des termes plus respectueux. Par exemple, lorsque tu Me parles, tu dois commencer par : « Notre Père qui es aux cieux. »

– Alors là, même pas en rêve. Tu délires, mon petit père. « Notre Père qui es aux cieux » ! Et pourquoi pas, ton illustrissime grandeur triomphante ou ta magnitude plénipotentiaire, tant qu’on y est ! Fais gaffe à ta couronne, ta très haute sommitude : elle va plus rentrer dans ton melon, ton Napoléon.

– Adam, je te demande de surveiller ton langage ou Je vais tout de suite t’apprendre à mieux prononcer Mon nom.

– Ah oui ? Des menaces ?

– Dieu ne menace pas. Dieu est.

– C’est vraiment impossible de discuter avec toi. Dieu ne menace pas. Dieu ne pense pas. Dieu ne dit pas. Dieu ne fait pas caca. Dieu est. Voilà. Dieu est et il sera. Et à part ça, est-ce que Dieu pourrait peut-être aussi se placer dans le faire. Dans la fabrication. Et régler vite fait mon problème de copulation ?

– Adam, Je te l’ai dit, en ce qui te concerne, Je ne peux pas prendre le risque de la reproduction. Mais il y a peut-être une solution. Seulement, J’hésite.

– Une solution ? Quoi comme solution ?

– Justement, c’est délicat.

– Attends une minute. Tu penses à quoi au juste ?

– Je pense à un moyen sûr à une méthode 100% efficace pour éviter que tu donnes naissance à un autre Adam.

– Espèce de vieux pervers ! Tu veux me les couper, c’est ça ?

– ADAM ! Dieu a dit qu’en aucune manière Dieu n’altérera une des créatures qu’Il a façonnées de ses mains.

– Ah bon. J’aime mieux ça.

– Donc, mon cher enfant, j’ai pensé à ceci.

La véritable origine de l’automne (Interlude)

J’aperçois tout au fond, juste à côté du radiateur, un dernier carré de lecteurs obstinés qui caressent encore l’espoir un peu fou de découvrir quel est le lien entre Dieu, Adam et la véritable origine de l’automne. D’aucuns montrent même quelques signes d’impatience et là, on se dit que Dieu existe mais qu’il pourrait baisser un peu le soleil ou distribuer des chapeaux. Mais enfin, qu’on se calme, je n’ai pas que ça à faire, il y a tous mes manoirs à repeindre en jaune et le week-end j’ai poney.

Donc, en attendant la suite, je vous propose de faire un bond de quelques millions d’années et de retrouver Dieu dans la tête de Mozart. Vous me direz que nous sortons du sujet, qui était Adam. Je vous répondrai que le sujet c’est l’automne, et que s’il n’a pas été effleuré à l’aube du quinzième chapitre, alors il y a de fortes chances pour que le sujet ne soit pas le sujet. J’ajouterai aussi que dix secondes suffiront pour créer un lien qui vous téléportera vers cet article déjà publié dans le cadre somptueux de l’horoscope universel qui a fait la fierté de ce blog.

La véritable origine de l’automne (14)

– Adam ?

Pas de réponse

– Adam ?

– Mmmh

– Adam !

– MMMMMmmmmmh !

– ADAM RÉVEILLE-TOI !

– Mais ça va pas non ? Depuis quand on réveille les gens au milieu de la nuit ? Laisse-moi tranquille. Je dors.

– Adam, un peu de respect s’il te plait ! C’est à Dieu que tu parles !

– Oui. Eh bien Dieu, si tu pouvais aller te recoucher et repasser plus tard, ça m’arrangerait, tu vois ?

– Adam, pour l’amour de Dieu, écoute-Moi. J’ai une chose importante à te dire.

– Ah non, pas maintenant. On n’est pas aux pièces. Moi, il me faut mes 8 heures de sommeil. Au fait, j’y pense, tu pourrais pas inventer quelque chose pour me booster au réveil ? Un truc bien fort à boire le matin. Quelque chose qui dépote, tu vois ? Parce ta flotte et tous tes jus de fruits, excuse-moi mais c’est un peu de la daube, tu vois ? D’ailleurs, en parlant de jus de fruits, je trouve que le choix est un peu limité : des cerises, toujours des cerises, ou alors des fraises ou des myrtilles. Que des trucs rouges. Des pêches ou des nectarines, mâtin, quel choix ! Tu vois une différence, toi, entre les pêches et les nectarines ? Non, bien sûr, toi tu t’en fous. Dieu ne boit pas de jus de fruits. Dieu ne boit pas. Dieu ne mange pas. Dieu est. Drôle de régime.

– Adam, Je t’en prie, il ne s’agit pas de Moi.

– Ah bon, de qui alors ? Un oiseau qui a mal aux dents ? Un problème d’éléphant ?

– Adam, sur cette terre, tu es le seul de ton espèce. Je crois que tu as raison. Il te faut un compagnon.

– Un compagnon ! Mais je rêve ! Un compagnon ! Tu le fais exprès ou quoi, ou alors, tu es juste trop con.

– ADAM!

– QUOI ADAM ? MAIS TU DÉLIRES MON DIEU ! UN COMPAGNON ! Prends un peu ta tête dans tes mains. Pense au lion.

– Que se passe-t-il avec le lion ?

– Il ne se passe rien avec le lion. Juste, le lion, normalement, il est maqué avec la lionne et pas avec un autre lion. Tu comprends ?

– Je comprends tout à fait Adam, seulement, il y a le problème des enfants.

– Dieu, sérieusement, tu déconnes. Il faudrait que tu te reposes, que tu dormes un moment.

– Dieu ne dort pas…

– Ah oui, j’avais oublié : Dieu est. Dieu est même con comme un balai.

– ADAM ! Laisse-Moi terminer. J’ai longuement hésité à te dire la vérité, mais Je crois que tu es en âge de comprendre. Lorsque le lion s’approche de la lionne, il arrive qu’ils éprouvent une attirance telle qu’ils s’assemblent et donnent naissance à un bébé lion.

– Ils tirent un coup, en somme.

La véritable origine de l’automne (13)

Allongé dans le noir, Dieu regardait le ciel qu’il avait fabriqué.

Bleu nuit et rempli d’étoiles. Ça, c’était une trouvaille, non, les étoiles ? Et la lune ? Est-ce qu’on se représente la somme de calculs à effectuer pour l’accrocher verticalement, à la bonne distance de la terre et l’aligner ensuite par rapport aux rayons du soleil ? Et toutes les planètes ? Et toutes les galaxies ? Et les trous noirs, hein, les trous noirs ? Passer de temps en temps un bon coup d’aspirateur pour nettoyer le ciel rempli de poussière, il fallait quand même avoir l’idée, non ?

On pouvait bien chipoter, trouver que la nuit manquait un peu de lumière et qu’à midi le soleil aurait pu être tamisé, n’empêche : mettre en place tout l’univers et tout le tremblement, tout ça en six jours montre en main,  il y avait de quoi être fier. Pourtant, Dieu qui n’était pas fier se dit que de tous les systèmes qu’il avait conçus et de tous les organismes vivants qu’il avait engendrés, Adam était de loin le plus complexe, le plus sensible, le plus délicat, le plus imprévisible. S’il avait été grossier, Dieu aurait ajouté : le plus emmerdant et le plus insupportablement chiant, mais Dieu avait des manières, heureusement pour Adam.

Chiant. Ça oui, on pouvait dire. Emmerdant. Pour sûr. Mais seul aussi. Tout seul sur la terre avec, pour seule distraction, la compagnie d’un serpent.

La véritable origine de l’automne (12)

Dieu avait l’index sur la gâchette de l’arme atomique. Une fois de plus, il se ravisa.

– Adam, mon enfant, ceci n’est pas un jeu. Je ne propose pas de contrat. Pas d’échange ni de « deal » comme tu dis. Je ne propose pas. Je dispose.

– Ah oui, Môssieu dispose. Trop facile. Il était une fois Dieu, à l’aise, mais tout seul dans le noir et qui s’emmerdait un peu. Un jour, il décide décorer son intérieur. Il met l’eau et l’électricité. Des plantes vertes pour la chlorophylle. De l’herbe pour les vaches qui bouffent de l’herbe pour donner du lait aux abeilles…

– Adam, voyons ! Les abeilles  ne boivent pas de lait !

– C’est un raccourci. Je sais bien que les abeilles niquent les fleurs pour faire d’autres fleurs à brouter. Tu me prends vraiment pour un con.

– Adam, comment peux-tu dire une chose pareille ? Moi qui t’ai placé au sommet de Ma création !

– Ah ça, on peut dire qu’elle est belle, ta CRÉATION ! Bref. Je disais donc qu’ensuite, les abeilles remplissent de miel la rivière qui coule à côté de la rivière de lait. Les ours viennent boire le miel et les veaux viennent boire le lait. Et le soir tout le monde se retrouve à la veillée pour raconter des histoires de miel et de lait. Les ourses parlent aux ours, les veaux aux veaux et les lionnes aux lions. Même les mouches parlent aux mouches, couchées à l’aise dans les poils des lions. Tout le monde, se retrouve, tu comprends ? Tout le monde sauf moi. Et le serpent. Alors, tu vois j’en ai marre, ton altitude. J’en ai marre de ce Club Med climatisé où je traîne ma solitude.
Je suis si seul, tu comprends ? Seul et sans personne avec qui me promener dans l’écume des vagues. Je suis seul le matin et seul à midi. Je suis encore seul, le soir, dans les éclats rouges et bleus du soleil couchant qui éclaboussent un court instant le voile gris de ma mélancolie avant d’aller se noyer dans les eaux noires de la nuit.

Dieu avait les larmes aux yeux. Adam était vraiment insupportable, mais il fallait bien reconnaître que ce petit con savait parler.

La véritable origine de l’automne (11)

Dieu sentit comme un fourmillement dans Sa main droite.

D’un naturel bienveillant, Il avait, pour Son royaume, prévu un ciel clément, une température agréable et quelques bouffées de vent. Mais Il envisageait soudain l’hypothèse d’un orage, la possibilité d’un gros nuage bien noir qui remplirait le ciel et craquerait d’un seul coup de tonnerre. Pour  ajouter de la lumière au son, Dieu voyait un phénomène électrique, une décharge de cent mille volts concentrée dans un éclair tranchant qu’Il pourrait diriger à Sa guise et qu’à ce moment précis, Il voyait pointé sur le derrière bronzé d’Adam.  Ainsi traversé par ce trait de lumière, ledit derrière aurait eu un accès instantané et définitif aux dernières avancées technologiques en matière de pénétration.
Le doigt sur le bouton de mise à feu, Dieu reprit Ses esprits, arrêta le compte à rebours et considéra l’objet de son courroux. Il reprit, sur un ton plus doux.

– Adam, mon enfant, j’aimerais, s’il te plait, que tu surveilles ton langage. On ne blasphème pas en présence de Dieu.

– Ah, oui ? Alors, comment il faudrait que je te parle ? Tu voudrais peut-être que je te vouvoie ? Que je t’appelle mon Altesse Sérénissime ou quelque chose comme ça ? Ta Majesté, je suis sûr que tu trouverais ça trop cool. Mais d’abord, qui tu es pour me parler comme ça, hein ? C’est toi qui tiens la baraque ici ?

– Je suis Celui qui était, qui est et qui sera.

– Sans blague ! Imparfait, présent, futur, c’est sûr, c’est toi le roi de la conjugaison.

– Je suis l’alpha et l’oméga.

– Oui mon prince, tu es aussi le roi en langues étrangères… Tu te la pètes un peu quand même, sauf ton respect,  Altesse.

– Adam, écoute-Moi. Je suis Celui qui était au monde avant que le monde soit monde. Le monde était noir et J’ai fait de la lumière. En haut, J’ai placé le ciel et en bas les océans. Au milieu des océans, J’ai semé de la terre et de l’herbe remplie de fleurs odorantes. Dans le ciel, J’ai suspendu le soleil et pour faire de l’ombre, J’ai planté des arbres. Ensuite, J’ai créé les animaux pour peupler les mers, le ciel et la terre, Enfin, Je t’ai créé, toi, Adam, à un seul exemplaire et Je t’ai placé au sommet de la création, pour que tu règnes en maître sur Mon royaume.

– Ok ma grande. J’ai bien compris : ton royaume, il est immense et beau et rempli de trucs géniaux. Tu penses que j’ai le profil pour m’occuper du domaine. Je suis bien d’accord avec toi. Donc, tu me files ton royaume, j’accepte, et ensuite je te l’échange contre un bon coup.
Deal ?

La véritable origine de l’automne (10)

– Adam, tu es Mon fils.

– Bien sûr et toi tu es le frère du ragondin musqué.

– Petit impertinent ! Sais-tu seulement qui Je suis ?

– Ben non, justement. Aucune idée. Sauf que tu me casses les couilles depuis hier matin. Faut pas faire ceci et faut pas faire cela. Adam viens par ici et Adam viens par là. Adam, je suis ton père, appelle moi papa. Mais moi, j’ai pas envie d’un père, j’en ai rien à branler, tu vois ? Ce qu’il me faut, c’est quelqu’un comme moi. C’est quand même incroyable, on me débarque dans un endroit de rêve, il y a des plages partout, température de l’air : 28 degrés. Température de l’eau : 28 degrés. Un poil de vent, juste ce qu’il faut. Des fruits que tu manges même pas en rêve. Une rivière où coule le lait, une rivière où coule le miel, j’ai pas trouvé la rivière à rosé.

– Adam ! De l’alcool, tu n’y penses pas !

– Pourquoi, j’ai pas l’âge, c’est ça ? Pas l’âge, tu parles ! Il faudrait un bar, au bord de la plage. Une paillote, tu vois ? Avec des chaises longues sur le sable. Tout ce sable blanc partout, j’hallucine ! Et ce vent qui arrive toujours pile au moment où tu crois que tu vas avoir trop chaud. On dirait qu’ils ont installé la clim au bord de la plage. Ça me rend dingue, ce vent qui vient et qui s’en va. Ce vent qui s’enfile entre mes jambes, autour de cette chose vivante, ce truc allongé que j’ai montré au serpent. Ça l’a fait hurler de rire. Il dit que c’est une petite saucisse. Mais moi je sais bien que c’est un serpent.

– Adam, Mon enfant, tu te trompes.

– Ah oui, j’y avais pas pensé, ça ressemble aussi au nez de l’éléphant.

– Non, rien à voir avec l’éléphant. Adam tu es unique au monde. Je t’ai créé à Mon image, pour que tu sois différent. Le premier animal parlant.

– Ah oui, je parle ? Génial ! Et pour niquer, je fais comment ?

Les mégots de larmes qu’on écrase

A l’intérieur de nous, les digues
Se remplissent petit à petit
Des mégots de larmes qu’on écrase
Rageusement.
À grands coups de talon.
Des larmes qu’on ravale,
Des sanglots qu’on étrangle,
Jour après jour,
Semaine après semaine.
Des chagrins qu’on fait fondre
Dans le plomb des années oubliées.

Patiemment,
Inexorablement.
Le niveau des larmes continue de monter.
Il gagne le haut du cou,
Les basses terres du visage.
Peu à peu, le nez s’enfonce
Et la ligne d’eau salée
Dessine une ombre flottante
Juste au-dessous du niveau des yeux.

Alors, on essaie de construire
Une dernière digue.
Un barrage de fortune.
Des sacs de sable
Empilés à la hâte
Sur le bord ondulé du chagrin.

L’eau lisse alors s’insinue lentement dans le sable
Tout doucement,
Inexorablement.
Elle attend un moment,
Une seconde,
Une question,
Automatique,
Comment ça va ?

La réponse ne vient pas,
Juste le silence
Et le bruit de sanglot
Que fait la digue quand elle se rompt
Et libère

Un océan de larmes.