Groumpf

Un jour, il y a bien longtemps, un homme s’est levé et a dit : « Groumpf ! »

Le ciel est bas. L’homme a mal dormi. Il a le teint brouillé et l’estomac barbouillé. La forêt est remplie de brume. Il fait froid.
Temps de chiottes. Et en plus j’ai la tête qui va exploser. C’est peut-être ces champignons, ou alors les racines d’hier. J’aurais jamais dû manger ces racines. Ouh que j’ai mal au cœur. Je crois bien que je vais vomir.
L’homme a un grand spasme, ensuite il se relève, un goût douceâtre jusqu’au fond des molaires. Il a un hoquet. Il est de très mauvaise humeur. Il est en nage. Il est en rage. Il arrache une grosse branche au flanc d’un arbre. Il fouaille les hautes herbes. Il arrache, il casse, il écume. Il revient en vrombissant vers l’entrée de sa caverne. Devant l’entrée, un autre homme attend. Alors, le premier homme lève très haut sa lourde branche et l’abat d’un seul coup sur le crâne du deuxième qui se fend dans un bruit mou. Le deuxième homme s’écroule et reste allongé sur le sol. Le premier homme dit : « Groumpf ? » mais rien, plus rien ne lui répond. Tout à coup, il se sent mieux. Il se sent fort. Il remplit d’air ses poumons. Il reprend sa grosse branche et la taille à coups de caillou pour qu’elle tienne bien dans la main.

Ensuite, il casse la tête de tout le monde avec sa branche transformée en gourdin. Ensuite un autre homme arrive avec un gros caillou. Ensuite un homme a l’idée d’un plus petit caillou qu’on pourrait lancer. Ensuite un homme pense à insérer le petit caillou dans un tube rond avec un peu de poudre. Ensuite un homme augmente la taille du tube et ça fait un canon.  

Pendant ce temps, les femmes cultivent le blé et les pommes de terre en surveillant les enfants. Quand la nuit tombe, elles soignent les blessés et enterrent les morts dans la terre noire remplie de trous.

Pendant ce temps, les hommes font de l’argent pour acheter des médailles et des missiles intercontinentaux à tête nucléaire. Ils réfléchissent à la conquête du monde. Ils prennent des décisions stratégiques qui abreuvent nos sillons d’un sang glacé. Entre deux guerres, ils partent à la conquête du marché de la pomme de terre ou de l’ordinateur. Ils creusent des trous de plusieurs kilomètres pour arracher aux entrailles de la terre le plus gros diamant du monde, qu’ils font monter en collier. Ils rentrent chez eux le soir et attachent le collier au cou de leurs dames. Suspendu par un fil à ce cou gracile, le plus gros diamant du monde ressemble à un étron.

Ensuite, ils repartent dans la plus grosse voiture du monde pour allumer la mèche de la plus grosse bombe atomique du monde.

BOUM.

La forêt est rasée. Il ne reste plus d’arbres. Il ne reste plus de brume et même plus de froid. Juste un bout de montagne et un trou au milieu. Dans la caverne quelque chose à bougé. Une silhouette recouverte de poussière s’ébroue dans l’obscurité.
Mon Dieu que va-t-il se passer ?
Mon Dieu  très haut et suprêmement inexistant, crache pour une fois dans tes mains trop propres et fais bien attention. Fais hyper gaffe, mon Dieu. Cette fois-ci pas de bavure.

Fais que ce soit une femme qui sorte de la caverne.
Après l’explosion.

Petit Papa Noël


Petit Papa Noël,
Cette année comme l’année dernière,
Quand tu descendras du ciel
Pour atterrir dans le parc de mon petit manoir,
Ne défonce pas la pelouse
Avec tes rennes et leurs gros sabots.
Mon manoir est petit
Mais mon tailleur est riche.
Et mon cordonnier fait de très grands souliers.

Petit Papa Noël
N’oublie pas de remplir mon gros bas de laine
Et surtout n’oublie pas mes très grands souliers.
Je n’ai pas été tous les jours très sage
Mais je crois que tu vas aimer ça

Petit papa Noël
Tu sais bien qu’avant de partir,
Je saurai bien te couvrir
Alors, Petit Papa Noël,
N’oublie pas
Mon petit cadeau.

Le monde sous deux mètres de neige.

Sous trente centimètres de neige, le monde marche sur  une patte.
Alors, prenons deux mètres de neige. Saupoudrons. Étalons à la spatule sur un aéroport.
Que voyons-nous ?
Sur cet aéroport, les avions sont rangés en rangs d’oignons. La neige légère fait ployer leurs ailes déplumées. Ils ont la tête basse et le ventre vide. Leurs passagers endormis dans le ventre gris des aérogares. Leurs passagers assis dans une chambre d’hôtel, qui regardent la neige tomber, inlassablement. Leurs passagers immobiles dans l’espace vide du temps refermé. Sans rendez-vous important. Sans réunion stratégique. Sans courbes de croissance projetées sur un écran blanc. Sans négociation de prix. Sans signature du contrat.
C’est terrible.
Il y aura des conséquences incalculables.
Des pertes colossales.
Des millions d’emplois seront perdus.
Peut-être même une crise économique sans précédent.

Dehors, la neige tombe. Continuellement.
Les passagers ne partiront pas. Alors, ils envoient au monde entier cette terrible nouvelle : « Les passagers ne partiront pas ». Sur leurs ordinateurs ils écrivent : l’aéroport est fermé. Je ne pourrai pas être présent pour la réunion stratégique. C’est grave. Extrêmement grave.
Dehors la neige tombe. Imperturbablement.
Les passagers prennent leur téléphone pour dire que non, ils ne partiront pas. Ils ne seront pas là ce soir pour embrasser les enfants.
Après un temps d’hésitation, la neige se remet à tomber.
Les passagers sont très énervés. Il doit bien y avoir un moyen de faire décoller les avions. C’est invraisemblable tout de même. Moi qui devais me rendre à la Réunion. Manger un homard à la vanille. Faire la planche dans le grand lagon.
La neige redouble d’intensité.

Après deux jours la neige fond.
Privés de leur baiser du soir les enfants ont pleuré.
La neige regrette.
Privées de Directeur de la Communication, les réunions stratégiques n’ont pas eu lieu.
La neige s’en fiche comme d’une cerise.
Les contrats attendent toujours la signature du Chief Executive Officer.
La neige s’en contrefout.
Dans le grand lagon de l’Île de la Réunion, le requin a fait des ronds dans l’eau en attendant un touriste dodu à la chair pâle.
La neige compatit.

Pendant deux jours, deux mètres de neige ont changé le cours du monde.
Deux jours plus tard, rien n’a changé.