Le fil qui danse

 

Un silex effilé,
Une pyramide,
L’empreinte colorée de deux mains déployées,
L’arc manquant d’un aqueduc,
Une ballerine,
Les fleurs du mal,

Et Rembrandt sous son bonnet de nuit.

Toutes les traces éparses qui tracent un chemin compliqué dans la poussière du temps, s’arrêtent  juste sous nos pieds, traversent le dur de nos semelles, la plante de nos pieds, remontent le long des artères qui parcourent nos cœurs, nos têtes, nos mains et les transforment en gestes lumineux qui éclairent une fraction de seconde les derniers recoins sombres de la grotte où nous grelottons, apeurés et perdus, dans l’attente d’un petit moment de grâce absolue.

Les arabesques et les pas chassés. La feuille blanche. Le bruit du clavier. La mer qu’on fait danser. La couleur. Une mouche de crème fraîche sur une framboise carmin. Une goutte de parfum. Un profil d’escarpin. Le vent pris dans la course d’une robe en été.

Toute la grâce contenue dans nos âmes suspendues à la beauté du monde par un fil si fragile qu’il ne cesse de se casser.

La journée mondiale de mes fesses

Si vous prévoyez de sortir de chez vous au matin 13 janvier, vous pourrez braver les frimas en slip pour célébrer les mérites de la journée mondiale sans pantalon. Une fois de retour dans votre hôtel particulier, les genoux bleuis par le froid, vous vous réjouirez à la perspective de l’embrasement programmé de votre libido, huit jours plus tard, à l’occasion de la journée internationale des câlins.

On voit bien là combien l’institut chargé de la planification des journées mondiales se préoccupe du bon ordonnancement de la séquence de nos émotions.

Donc, le 21 janvier, ce ne sont qu’effusions, mélangeages, abouchages, voir tripotages pour les sujets les plus tactiles. L’augmentation de la température interne fait reluire une fine zone en triangle entre les lèvres et les narines là où habituellement on trouve une moustache. Les corps se collent aux corps. La vue se brouille. On perd pied. Les bustes se penchent et ils basculent, mais où va-t-on ? Eh bien nulle part, petits fripons. Et d’abord qui vous a dit d’y aller ? Défaites-moi sur le champ ces fougueuses étreintes ! Que vos émois se figent ! Que vos mains quittent ces peaux étrangères pour aller se terrer au plus profond de vos poches ! Plongez vos ardeurs dans un bain froid et laissez-les mariner jusqu’au mois de décembre. Le 21 pour être précis. Là vous pourrez enfin lâcher les chevaux, aller jusqu’au bout des choses et de multiples fois, la journée mondiale de l’orgasme a été créée exprès pour ça.

Que grâces soient rendues aux créateurs de tous ces jalons placés dans notre année solaire qui stoppent le cours des jours ordinaires et réveillent nos consciences anesthésiées par l’apparition fortuite d’une parcelle de sein sur un fond de tapis rouge ou la greffe d’un postérieur callipyge sur les fesses étiques de Miss téléréalité. Il faut nous extraire de cette fange. Prenons de la hauteur. Offrons à notre esprit la nourriture qui lui convient et célébrons comme il convient la Journée Européenne de la glace artisanale, le 24 mars prochain.

Le rideau de graisse

Bientôt, nous serons tous très gros.

Très très gros. Lourds, massifs et rebondis. Obèses pour tout dire, obèses à un point où chaque habitation sera munie d’un palan. Nous serons treuillés pour manger, treuillés pour sortir, treuillés pour rentrer. Nous passerons nos vies suspendus par des harnais aux crochets des grues et petit à petit nos pieds disparaîtront. Il nous restera juste une petite boule au-dessous des chevilles, une boule grosse comme le poing pour se souvenir qu’un jour nous avons su marcher.

Un jour, les grues cèderont sous le poids de nos quintaux et nous serons coincés.
Prisonniers de nos panses qui peu à peu recouvriront nos jambes et mangeront nos bras. Assis, nous ressemblerons à des poires immenses et petit à petit nos ventres rempliront nos maisons, feront sauter nos portes, éclater nos fenêtres pour se répandre sur les routes et sous les ponts. Ils se déverseront dans le lit des rivières, ils rempliront les vallées et les mers, combleront les fosses noires des océans.

Nos ventres.
Arrivés à la lisière des déserts, ils glisseront sans effort sur les premiers mètres de sable surchauffé. Une odeur de friture rance remplira l’air. Sur le bord mouvant de la marée de nos ventres, on verra se former une auréole sombre qui ira en s’élargissant. En fondant, ils formeront une flaque d’huile brillante que le sable assoiffé boira goulûment. À longs traits. Inlassablement. Jusqu’à ce que disparaisse la dernière trace luisante de la dernière tache de graisse.
Et lorsque le désert nous aura épongés, apparaîtront dans les ondulations de l’air incandescent les silhouettes floues, étiques et haves de tous les peuples oubliés que nous avons enfermés derrière notre rideau de graisse.

Les longs corps efflanqués des derniers êtres humains encore pourvus de pieds.


Selon des chiffres diffusés par l’Organisation Mondiale de la Santé plus d’1,9 milliard d’adultes étaient en surpoids en 2014 dans le monde, dont plus de 600 millions d’obèses.
D’après l’OMS, la prévalence de l’obésité a plus que doublé au niveau mondial entre 1980 et 2014.

La véritable origine de l’automne (32)

Résumé des épisodes précédents
En une semaine chrono, Dieu crée le monde et le couple. Depuis, la situation est extrêmement dynamique.

Toujours étendu au sol en position fœtale, Adam émet un faible gémissement. Ève se penche au-dessus du corps souffrant.
– Ça a l’air douloureux, on dirait.

Il parvient à articuler dans un filet de voix
– J’ai mal. Je vais mourir.
– Mais non tu ne vas pas mourir, il y a juste une ou deux gouttes de sang.
– Du sang ? Du sang !
– Deux gouttes, rien de grave, je vais aller chercher de l’eau.
– Rien de grave ? Rien de grave !
– Non juste un peu de sang, de sang, est-ce que tu veux qu’on généralise l’usage de la répétition ou tu préfères te remettre à parler normalement ?
– Laisse-moi deux minutes et tu verras comment que je vais m’occuper de gérer la question de la communication.
– C’est ça. Pour le moment, tu continues à mourir sans bouger. Moi, je vais chercher un peu d’eau pour panser tes plaies de grand blessé. Au fait, j’y pense, il faudrait faire un garrot.
– Un garrot ? Un garrot !
– On t’a déjà parlé des causes potentielles liées au syndrome de la répétition ?
– Où ça un garrot ?
– Eh bien, autour du col de ton petit oiseau.
– Si jamais tu le touches, je t’envoie direct chercher ton eau dans la mer.
– Si jamais je le touche, c’est toi que j’enverrai en l’air.

La véritable origine de l’automne (31)

Résumé des épisodes précédents
Après une semaine de travaux épuisants, Dieu s’endort et Ève naît de son rêve. Au matin, Ève rencontre Adam. La discussion s’engage et se poursuit jusqu’au moment où un coup de vent soulève le manteau mi-saison d’Ève et dévoile son postérieur. Adam reste figé de partout. Presque partout. Il s’avance, l’air absent. Ève prend un caillou pour faire diversion. Quand il arrive à portée de mains elle lui balance un coup-franc dans point de penalty. Adam s’effondre, inconscient.

C’est vrai qu’il est plutôt pas mal, ce grand dadais avec son érection en voie de disparition.

Deux mains puissantes qui relâchent lentement leur emprise sur son intimité meurtrie. La cuisse large et le mollet solide. Il a pourtant la cheville fine et la taille, aussi. Les jambes accrochées très haut au sommet des hanches, juste là où l’éminence ilio-pubienne affleure sous la peau, la soulève délicatement pour former un pic tendre  et émouvant.
En remontant un peu plus haut, à la base de son ventre imberbe, on saisit dans les moindres détails toute la complexité de la topographie abdominale.  Aucune trace de nombril. Aucune marque de maillot. Deux pointes de seins durs piquées sur l’arrête des pectoraux. L’arrondi de l’épaule. La vallée de la clavicule. La gorge lisse et encastrée dans le plateau triangulaire qui relie le menton aux extrémités de la mâchoire de sa tête renversée. Et tout autour de son douloureux visage, une corolle brillante de boucles blondes étalées sur le sol.

Pendant qu’ainsi il agonise, Ève refait plusieurs fois le tour du mâle. Rien à redire, vraiment, sur la plastique de ce jeune homme : de la tête aux pieds et des pieds à la tête, Adam est vraiment très bandant.