Une liasse de sérénité

Est-ce que vous vous rendez compte que toutes les conneries que vous absorbez quotidiennement par les yeux et les oreilles vous abrutissent à petit feu ?
Je hais l’image littéraire à deux balles, la comparaison bien plantée sur ses deux pieds avec au milieu ce « comme » hideux et lourd comme du plomb. Qu’on me pardonne donc, mais sachez que vous n’êtes pas imperméables au flot continu de bêtise qui dégouline sur vous comme un crachin de fiente sorti d’un intestin engorgé.


Donc, voici une jumelle éloignée de Charlotte Gainsbourg qui se découpe sur un fond flou. Elle est jeune. Elle sourit dans le vague au sortir d’un repas frugal et équilibré. Le regard un peu vers le bas. Le menton en avant, volontaire, éclairé. Pas plus de trouble gastrique que de la personnalité. Capilairement calculée au bord du négligé. Tranquillement à l’aise. Zen, mais faut pas la lui raconter. Et calé dans la diagonale du regard, ce beau slogan pléonasmique jaune vert, bien contrasté pour les myopes et bien gras pour les mal-comprenants : au cas où on n’aurait pas saisi, la fausse Charlotte est sereine, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Et qui c’est qui dit qu’elle est ? C’est la banque, que c’est elle qui créée de la sérénité.

Créer de la sérénité, comment ? Avec qui ? Une banque ? Stop !
Dans le flot de fiente mentionné plus haut, il arrive qu’un jet particulièrement malodorant vous retrousse les narines au point de réveiller vos sens euthanasiés. Vous pensiez sérénité et vous voyiez, mer, montagne, ciel, méditation, jardin japonais, Feng Shui et même ataraxie, cette paix de l’âme que tu atteins en évitant de partir en live pour tout et n’importe quoi.
Mais voilà qu’on t’apprend que la sérénité se créée, façon pièce montée ou pizza. Et qui possède la recette de la nouvelle Margherita ? Ta Banque, Charlotte ! Ta Banque. Alors, s’il te plait, arrête de faire des huit dans le sable avec ton râteau. Plus d’om et plus de yoga. S’il te plait, éteins ta bougie, tes bâtonnets d’encens et tes vagues souvenirs de philosophie. Moi, la sérénité, j’en vends au quintal. Suffit que tu me files ton pognon, je te l’emballe sous vide et je le dépose dans mon coffre blindé.
Oublie tous tes soucis, les mois sans fin, les maladies et la mort qui vient. Ta banque est là, simple et tranquille, elle créée aussi ton prochain lendemain.

Couleur de vendredi

Le cinquième jour de la semaine d’un mois de novembre.
Le ciel gris, mais pas vraiment. Un peu froid. Légèrement venteux. Jolie lumière quand même un peu fragile, un peu crépusculaire, pourtant, c’est le matin. Le brouillard rôde, incertain, pile je descends, face, je monte, finalement je reste là.
Temps mort.
Je reconnais le silence, le moment immobile où le cœur du ciel se fige, l’espace d’un battement avant de repartir et de lancer dans le vide le premier flocon de la première neige.

En novembre, le plus beau vendredi est un vendredi blanc.

Rembrandt et la mouette

Gaston Lagaffe se reposait enfin. À l’aise dans son Franquin. 19 albums cartonnés, c’est beaucoup pour un type fatigué. 
Gaston avait tout donné, tout. Inventé des trucs pas fous. Des téléphones-douches, une tondeuse téléguidée ou un radiateur d’où sort un jet de café. En tenue de fusée, il n’avait pas pu danser au bal masqué. Et surtout, pendant toutes ces années, il avait cherché le coussin, le hamac, l’endroit majuscule où perfectionner l’art de la sieste sans être dérangé.  

RÔÔÔ
FZZZ
RÔÔÔZ
PFFFFF
Z

Et tout autour des onomatopées, des livres étayés par des balais en un vague tunnel construit par la main de Franquin.
La main prodigieuse qui dessine ce qu’on ne peut pas dessiner, le mouvement, la fatigue, la colère, l’amusement, l’émerveillement, l’explosion d’un moteur à deux temps. Une mouette. Rieuse. Hargneuse. Un chef d’oeuvre de trait et de concision comme une esquisse de Michel-Ange ou un autoportrait de Rembrandt.

Rembrandt est mort, lui aussi. Mais aucune autre main ne le remplacera devant le miroir pour dessiner la tristesse, la fatigue, tracer les lignes de l’âge et les contours des ombres où disparaissent les vallées que le temps a creusées.