Sous la jupe du fisc, première partie

tirelire1Pas que refuse d’apporter ma contribution au financement de la route et du rail, mais la Confédération qui m’héberge avait exagéré. Vraiment. Trop c’est trop. J’ai pris mon téléphone et appelé le fisc. Obtenu une audience avant de sombrer corps et biens. J’arrivai livide et prêt à livrer mon dernier combat. On me laissa mijoter un peu dans une antichambre ouverte à tous vents. Il y eut un bruit de porte et un quarantenaire chaleureux apparut pour me tendre une main franche et vigoureuse.
Je m’étais préparé à un croque-mort.
J’ai pensé qu’ils étaient supérieurement organisés. Qu’ils avaient vraiment tout prévu. Qu’il n’y avait plus rien à faire. J’ai donc mis mes pas dans ceux du type sympathique. En route vers la banqueroute. Avec le sourire, s’il vous plaît.
Nous nous asseyons. Il allume un ordinateur qui n’attendait que ça et en voiture Simone. J’explique ma douleur, l’effroi qui me saisit à la vue des dernières factures. Il compatit. Exhibe des tableurs explicatifs qui montrent bien à quel point je suis cuit. Frit. Prêt au sacrifice. Il connaît ça. Lui aussi il a des charges : une première épouse, une deuxième épouse, une petite fille. Une pension alimentaire. Un logement. Des assurances. De la confiture pour rehausser le goût du pain. Et là, au cœur de l’antre brûlant du fisc, s’opère un imperceptible glissement qui nous éloigne des chiffres pour nous rapprocher des mots. On dirait une ébauche de dialogue. Une esquisse de relation humaine,  comme un sentiment de fraternité diffuse qui s’insinuerait entre nous.

Sous la jupe du fisc, deuxième partie

tirelire2Quelques minutes ont suffi pour passer de la déclaration à la confession. Je suis venu à genoux implorer la clémence de l’Administration et me voilà au chevet d’un contrôleur des impôts habité par le doute.
Il ne sait pas.
Il ne sait toujours pas pourquoi il s’est remis au mariage après une première tentative douloureuse. Il s’interroge. Se souvient de sa première épouse et de leur premier enfant. Des années chaudes. Des années tièdes. Des années froides. Des années de glace. De la séparation, du divorce, de la déprime et de la période de fébrilité célibataire qui a suivi. D’une femme qui surgit d’une avalanche de femmes. Il a 43 ans. Elle 32. Il repart pour un tour sur la grande roue. Arrivé au sommet, il est le maître du monde et un nouvel enfant est né.
Il réfléchit intensément.
– En fait, je crois que c’est par… orgueil. C’est ça, par orgueil.
Il réfléchit encore.
– Vous voyez, cette femme était si belle et tellement plus jeune que moi. Normalement, je n’avais aucune chance. Au début, je la sortais. Vraiment. Je l’exhibais. Ensuite, nous avons formé un couple, fait un enfant et je n’en revenais toujours pas.
Je crois que j’ai voulu faire homologuer mon exploit. Être inscrit officiellement sur la liste des records.
C’est pour ça.
Je me suis remarié.
Par orgueil.

Sous la jupe du fisc, troisième partie

tirelire3Le contrôleur des impôts secoue la tête. Il interroge du regard l’écran blanc de son ordinateur.
– En fait, on n’y tenait pas du tout, à se marier. Ni elle, ni moi. Maintenant, j’en suis à mon deuxième mariage. J’ai une fille de 15 ans qui veut faire femme de footballeur, c’est vous dire. Une petite fille de 2 ans et ma deuxième femme voudrait lui faire une petite sœur. Moi j’ai eu 47 ans cette année. 47 ans, vous comprenez ? Je commence à être fatigué. Alors j’ai demandé un délai. Je lui ai dit qu’on en reparlerait après les vacances. D’abord les vacances. M’allonger au bord de la plage et ne penser à rien. Pendant 15 jours. Faire la sieste.

On est revenu au revenu et aux déductions. Il s’est avéré que l’Administration avait effectivement surestimé mon potentiel de contribution. Que la facture serait réduite de moitié. Reste à payer l’autre moitié. Lectrices, lecteurs, je le dis en lettres majuscules sur ce blog de plus en plus fréquenté : JE SUIS OUVERT À TOUTE FORME DE MÉCÉNAT. J’accepte l’argent liquide, mais aussi toutes les cartes de crédit, les chèques et pourquoi pas les dons en nature : Aston Martin usagées, montres compliquées ou confiture d’abricots puisque c’est bientôt la saison. Mes enfants et moi seront heureux d’apposer un autocollant mentionnant le nom des généreux donateurs sur la porte d’entrée de notre appartement.
Les calculs étaient terminés. Le contrôleur s’est levé. Nous avons échangé une presque amicale poignée de mains. En partant, je lui ai dit que je le rappellerai en novembre pour suivre l’évolution de son planning familial. Que j’avais bien une idée sur la question, mais qu’une confirmation serait nécessaire.
Il a souri, il a dit pourquoi pas.

Rendez-vous donc à l’automne pour la suite des aventures fiscales.

Sous la jupe du marbre froid

home1C’était écrit en gras et en travers sur la première page : « CHOISIR SA MORT. »
L’article parlait des gens qui n’en finissent pas de mourir. De la mort qui essaie de se frayer un chemin vers sa prochaine victime à travers une forêt de tuyaux reliés à des appareils toujours plus compliqués. La mort qui traque un gibier toujours plus insaisissable et farci de médicaments nouveaux. La mort qui s’essouffle à poursuivre un objectif sous haute surveillance, ausculté, scanné, dopé à toutes sortes de substances inédites. Une cible floue qui esquive les assauts morbides à grand coups de cellules souches sorties du four.
Dans la lutte pour la survie, tous les coups sont permis et la mort ne retrouve plus ses petits. Elle râle en attendant une heure toujours repoussée par l’irruption d’une avancée technologique. Au moment ou elle enserre enfin le cou de sa victime pour l’envelopper d’un long baiser glacé, on brandit un nouveau traitement laser qui dégringole les mauvaises cellules comme à la fête foraine. Pan. Bien fait pour sa gueule. Faudra repasser la prochaine fois. La mort se barre et laisse le cas en suspens. Temps mort. On amène quelques machines supplémentaires. La vie continue en pointillés, on ne sait plus comment l’arrêter. Il faut choisir.
Pendant ce temps la mort est partie se faire voir ailleurs. Plus loin, dans les pays en voie d’industrialisation ou d’extinction, c’est comme vous voulez. Là où il est encore possible de démultiplier les cellules malades à grande vitesse. Des endroits dépourvus de médicaments, alors vous pensez, pour l’électricité et les machines qui font « blirp » avec un écran en couleurs.
Elle choisit un village, une ville, un pays au hasard et se goinfre 1000 personnes d’un seul coup.
Trop facile.

Sous la jupe du bonus

bonuscouponPour favoriser les déplacements de la lectrice et du lecteur dans le labyrinthe du grand capitalisme, j’ai ramassé tous les épisodes du feuilleton Poil-de-Chameau sur une page unique et dans un ordre chronologique.
Entrez dans le monde du Champagne tiède et du bonus pétaradant.
Cliquez sur l’onglet « Poil-de-Chameau, l’intégrale de notre grand feuilleton capitaliste » situé tout en haut de la page, juste au-dessous de l’acccueil.

Nicolas Esse à la Radio

lapremiereRien n’est trop beau pour améliorer le confort de la lectrice et de son pendant masculin, le lecteur. Vous lisiez, quel magnifique effort. Maintenant il suffira d’écouter, dans votre bain, en ville et dans les champs. Juste un clic sur le lecteur ci-dessous. Pour vous rendre directement sur l’extrait à écouter, il suffit de faire avancer la petite main dans la barre et de lancer l’enregistrement après 8 minutes.

Il s’agit d’une nouvelle envoyée à l’émission « Drôles d’histoires » en 2004 que Lolita avait bien voulu sélectionner et lire à l’antenne. Une deuxième version a été enregistrée par Muriel Mérat en 2008 à l’occasion d’une série d’émissions spéciales diffusées pendant les fêtes de fin d’année.

Le texte est tellement bien lu qu’on dirait même pas que c’est moi qui l’ai écrit.

MERCI à Muriel Mérat et à Lolita.