L’eau, vue de la terre

Vue de la terre l’eau a l’air d’être dure.

Vue de la terre, l’eau a l’air d’être froide. Solide. Argentée et opaque. Vue de la terre, l’eau rugit. Gronde. Menace. Vue de la terre, l’eau est étrangère.

Il n’y a pas d’air dans l’eau. Il n’y a pas de pierres dans l’eau. On ne peut pas marcher dessus. Bien plantés dans la terre, les deux pieds refusent jusqu’à l’idée de l’eau. Les yeux voudraient voir à travers, sous le film lisse et métallique, derrière l’écume. Voir ce qui se cache à l’intérieur des rouleaux que le sable obscurcit.

Vue de la terre, l’eau est un piège opaque, il faudrait un bateau pour marcher dessus.

Vue de la terre, la mer coule au fond des nuages.
Il faut du sel pour faire de l’eau de pluie. Du sel dans l’eau. De l’eau dans la mer. La mer étale sous son film or ou argent. L’océan rempli de gouttes d’eau douce qui font le sel du monde. Dans l’eau de l’océan, il y a le ciel rempli de nuages. Les étoiles. Le soleil qui ondule. Le bruit d’été que font les feuilles de peuplier. Dans l’eau, il y a la mer, la terre et la poussière. La poigne solide d’une gangue liquide qui vous entraîne vers le fond. Tout au fond, sous le creux des vagues. Tout au fond, ailleurs, sous un autre soleil.

Il n’y a pas d’âge pour apprendre à plonger.

Intérieur nuit (5)

Le projecteur se rallume sur Aurélie assise de profil sur sa chaise suspendue dans le vide.

Aurélie :
Une boîte.
Dans une boîte. Dans une boîte. Dans une boîte. Je déteste les boîtes. Emboiter. Empiler. Ranger. Pourquoi tout doit être mis en carré ?

Mes mains en boîte.

Mes mains légères et fines. Mes mains en lames pour fendre le rideau de la mer. Mes mains en bol pour recueillir l’eau de la pluie. Mes mains qui courent au soleil. Mes mains qui glissent sur l’écorce lisse du cerisier gris.  Mes mains remplies d’herbes folles. Mes mains au petit matin qui parcourent le chemin d’un autre épiderme.
Mes mains vivantes. Mes mains jamais contentes. Mes mains haletantes. Mes mains heureuses. Mes mains malheureuses. Mes mains au four et au moulin.
Mes mains qui pendent, indifférentes.

Au bout de mes bras, il y a deux mains qui ne servent à rien.

Noir