Le ciel tire à balles réelles

Couleur charbon, les nuages. Solides, compacts, opaques, noirs minuit. En rangs serrés, ils s’avancent velus, obèses, leur ventre qui traine au ras du sol. L’orage rage, encore et encore, le ciel craque et se fend. Aucune sirène et pourtant, c’est un nouveau bombardement. Le sol crépite, la terre tremble, se soulève et le sol vole en éclats.
Le ciel tire à balles réelles, mitraille, défouraille à tout va. Le ciel en a marre de nos gueules d’atmosphère, il a trop vu nos têtes de culs, il n’en peut plus, le ciel. Alors, chaque jour, à heures régulières, il nous balance tout ce qu’il a sur le coin de nos tronches. Du vent à déraciner les arbres. De l’eau, par plein tonneaux. Et de grands seaux de glace concassée pour former un essaim de projectiles lancés à l’assaut des pare-brise qu’ils fracassent avec entrain.

Des congères se forment sur les bords de l’été.

On n’y voit plus rien, alors on court sans queue ni tête, un pardessus dérisoire sur nos crânes déplumés. Une branche passe. Une tuile s’écrase. Le ciel se gave d’objets épars qu’il recrache au hasard. C’est le moment qu’il préfère, le ciel, quand ça bastonne, quand les tables passent en sifflant au-dessus de nos têtes, quand il fait s’envoler tout ce qui n’est pas fait pour voler. Il aime le contraste, le côté décalé et nos regards apeurés quand il nous met le monde à l’envers.

Juillet à l’heure de l’ère glaciaire.

Nous nous taisons. Nous nous terrons. Infiniment fragiles.
Petits.
Perméables.
Nous ne sommes pas à l’épreuve des balles.

Êtres d’eau

Ce qu’on a de meilleur, c’est quoi ?
Des larmes ?
Des larmes oui.

Des larmes, pas celles qui ont la couleur du sang. Pas celles qu’on verse au bord d’un trou. Pas celles qui ont le goût aigre de la douleur et pas non plus toutes les autres, amères, acides qui gravent leurs sillons sur nos visages et jusqu’au fond de nos âmes, ces vallées que les années creusent en falaises tranchantes où la lumière vient se déchirer.
Au fond, il fait toujours plus noir.

Alors, les larmes pourquoi ?
Parce que parfois les eaux montent, montent, le niveau atteint la cote d’alerte, les eaux montent encore, atteignent le sommet de la digue et le coeur en crue déborde. Une larme étoile la poussière, qu’on n’a pas eu le temps d’accrocher au revers de sa main.
Une larme parce que c’est trop, parce que ça traverse nos murs et nos secrets défense, ça pénètre au plus profond de nous, jusqu’à toucher ce point minuscule, là où nous sommes si vulnérables, tellement aimants et tendres, tellement.

Nous sommes des êtres d’eau, fluides, liquides, fragiles. Un vieux refrain et nous débordons, une main d’enfant et nous coulons. Les derniers feux du crépuscule nous submergent, la mer orange et la neige, la neige dans le creux des combes bleues nous engloutit dans un sanglot. 

Dans un soubresaut, le corps a lâché de l’eau.
Salée.
Poivrée.
Une goutte tombe dans la poussière.
Cette goutte arrose la terre entière.
Elle fleurit le monde et le rend plus beau.