Son corps blanc

Dans la lumière des réverbères,
Sa peau luit.
Livide et lisse.

Translucide,
Elle brille dans la nuit.

Allongée dans un lit de LED,
Elle se tend.
Jambes noires sur un corps blanc.
Les yeux fermés,
La tête renversée,
Son ventre en suspens,
Ruisseau pris entre deux eaux,
Moment pris entre deux temps.

Son corps blanc dans la nuit noire.
Son corps chaud dans la nuit froide.

Et derrière l’écran de verre,
Un voile de buée,
Léger,
Qui la protège
De la morsure des réverbères.

NOS NUITS DÉCAPOTABLES

Habillées de lumière et d’un carré de soie,
Tes jambes nues luisaient au fond de l’habitacle.
Tes mains sur le volant frissonnaient quelquefois
Dans les parfums boisés de l’air décapotable.

Or
Bleu
Vert
De gris

Tu
Prends
Les couleurs
De la nuit

Un voile de crépuscule attaché dans le dos,
Tu traçais un sillon dans le halo des phares.
Un pan de soie liquide enroulé sur ta peau
Inscrivait un frisson sur nos points de départ.

La route qui s’accrochait aux flancs nus des rochers
Nous emmenait plus loin au fond de la vallée,
Ton profil éclairé aux diodes lumineuses
Et les ombres pressées sur tes jambes nerveuses.

Nous roulions dans le soir
De ta décapotable,
Dans les plis d’un foulard
Accroché au hasard.

Nous inventions les jeux
De nos nuits carrossables
Au fond du ventre creux
De ta décapotable.

Herbe était la couleur
De ton corps paysage
Et blonde était l’odeur
Du vent sur ton  visage.

Herbe était la douceur
De ce soir paysage.
D’été était l’odeur
Du ciel sur ton visage.

Nos deux corps étendus
Sous le ciel paysage,
Mes mains sur ton dos nu
Dans le creux des nuages.

Nous étions suspendus à la fin de l’été,
À la route, à la nuit, au bord du temps qui fuit,
À un carré d’étoffe qui voulait s’envoler,
Malgré ce nœud fragile qui ne veut pas céder

Glisse
Joue
Avec
Tes seins

Vole
Court
Entre
Tes mains

Nous roulâmes ainsi jusqu’au petit matin.
Le soleil sur le lac découpait des rivières,
Semait sur tes épaules un champ de taches claires
Qui s’envolaient légères sur les bords du chemin.

Habillée de lumière et d’un carré de soie,
Tu coupas le contact, sortis de l’habitacle.
Je vis ta jambe nue et un escarpin noir
S’inscrire dans le reflet de ta décapotable.

Nous roulions dans le soir
De ta décapotable,
Dans les plis d’un foulard
Retenu au hasard.

Nous inventions les jeux
De nos nuits carrossables
Au fond du ventre creux
De ta décapotable.

Herbe était la couleur
De ton corps paysage
Et blonde était l’odeur
Du vent sur ton  visage.

Herbe était la douceur
De ce soir paysage
D’été était l’odeur
Du ciel sur ton visage.

Nos deux corps allongés
Sous le ciel paysage,
Le songe d’une nuit d’été
Et d’un ciel sans nuages.

L’eau, vue de la terre

Vue de la terre l’eau a l’air d’être dure.

Vue de la terre, l’eau a l’air d’être froide. Solide. Argentée et opaque. Vue de la terre, l’eau rugit. Gronde. Menace. Vue de la terre, l’eau est étrangère.

Il n’y a pas d’air dans l’eau. Il n’y a pas de pierres dans l’eau. On ne peut pas marcher dessus. Bien plantés dans la terre, les deux pieds refusent jusqu’à l’idée de l’eau. Les yeux voudraient voir à travers, sous le film lisse et métallique, derrière l’écume. Voir ce qui se cache à l’intérieur des rouleaux que le sable obscurcit.

Vue de la terre, l’eau est un piège opaque, il faudrait un bateau pour marcher dessus.

Vue de la terre, la mer coule au fond des nuages.
Il faut du sel pour faire de l’eau de pluie. Du sel dans l’eau. De l’eau dans la mer. La mer étale sous son film or ou argent. L’océan rempli de gouttes d’eau douce qui font le sel du monde. Dans l’eau de l’océan, il y a le ciel rempli de nuages. Les étoiles. Le soleil qui ondule. Le bruit d’été que font les feuilles de peuplier. Dans l’eau, il y a la mer, la terre et la poussière. La poigne solide d’une gangue liquide qui vous entraîne vers le fond. Tout au fond, sous le creux des vagues. Tout au fond, ailleurs, sous un autre soleil.

Il n’y a pas d’âge pour apprendre à plonger.

Visages, mode d’emploi

Tu regardes le monde qui se reflète à la surface de tes yeux verts. Le temps charrie des visages qui coulent en fleuves ou en rivières. Toi, tu interroges le monde. Pris dans tes yeux verts, le monde te répond.

Tous les visages se ressemblent et les yeux vont toujours deux par deux. Il y a toujours une bouche et un nez au milieu. Un front, un menton et un éclat de dents taillé pour le sourire.

Dans le matériel de construction pour assembler un visage, on trouvera donc : un front, un menton, deux oreilles et une bouche avec des dents. Des cheveux bleus ou noirs. Des yeux verts avec du jaune dedans. Des bouts d’étoiles pour mettre dans le ciel. Une cascade. Le bruit du vent. Une moissonneuse-batteuse et une odeur du foin séché. Il suffira ensuite d’un peu de colle et d’une paire de ciseaux : découpez les oreilles, la bouche et les dents, les bouts d’étoiles et le bruit du vent. Respectez la ligne des pointillés. C’est important. Surtout pour le vent. Lorsque vous aurez découpé le vent, déposez deux points de colle. Assemblez avec la cascade en suivant bien les contours du tracé. Ajoutez les bouts d’étoiles et l’odeur du foin. Laissez reposer. Le temps de séchage variera entre cinq minutes et une éternité.

Lorsque la colle aura séché, soulevez délicatement ce visage. Regardez les traces légères que le vent imprime à l’angle des paupières. L’eau du ruisseau. Les étoiles filantes et le bleu du ciel. L’ombre grise des cils qui s’allonge sur les yeux verts aux éclats dorés.

Lorsque la colle aura séché, il y aura bien deux yeux une bouche et un nez au milieu. Mais dans mes mains ouvertes je tiens un moment de grâce, une seconde unique au monde qu’aucune montre ne pourra jamais dire ni jamais répéter.

Une femme qui dort

C’est beau une femme qui dort.

Ça tient du chat et de l’eau claire. D’un champ d’herbes hautes parcouru par le vent. C’est immobile et fluide, hiératique et ondulant.

Une femme dort, sur le dos. Son profil calé dans un creux de la nuit. Tendu comme une balle. Et son menton dressé défie les lois du sommeil.

Une femme dort, sur le côté. Sa nuque reliée par un fil souple à l’oblique des épaules. Plus loin, un peu plus bas dans le creux des hanches, un point d’inflexion capte la lumière que la pénombre trouve en cherchant son chemin dans le noir.

Une femme dort, paupières fermées. Paisible. Apaisée. Ses mains bien à plat, posées le long du corps. Un éclat de jambe offert au regard bleu-gris de la nuit souris. Le brouillard monte de la vallée. Tout se fond et se dilue dans la lumière des réverbères. Tout s’efface.

Tout s’efface.

Tout s’efface enfin.

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