Ah, les bonnes œuvres !

Au forum de Davos, un panel de gens très comme il faut discute sur une estrade très comme il faut.
Dans ce court extrait télévisuel, une modératrice très propre sur elle, se tourne vers Michael Dell, vendeur américain d’ordinateurs fabriqués en Chine et milliardaire de son état. Elle lui demande très poliment s’il est prêt à payer un impôt de 70% sur ses revenus.
Éclat de rire général.
Le milliardaire répond très civilement que non. Depuis des années, il finance une fondation et cette fondation sait bien mieux que l’état investir le trop-plein de son immense fortune.
En clair :  c’est moi que je suis le maître du monde. Si jamais je veux distribuer mon pognon, c’est à moi de décider combien et à qui. Parce que moi je sais exactement de quoi le monde à besoin pour devenir meilleur, plus beau et plus fort. L’état c’est nul, l’état c’est con.
L’état, c’est moi.

Un jour, tout sera moi.

En attendant ce jour béni, Monsieur Dell met la salle au défi de trouver un seul pays où un semblable délire fiscal aurait produit des effets positifs.
Silence gêné et soudain, une voix : « Oui, Les États-Unis ! »
Stupeur. Tremblements.
La modératrice bafouille quelque chose comme : « Oui, pendant un moment dans les années 80… »
Le perturbateur s’appelle Erik Brynjolfsson. Il est, entre autres, professeur au Massachusetts Institute of Technology et poursuit, imperturbable : « Non non  non. Pendant une période qui s’étend environ des années 30 aux années 60, la taxation des riches était en moyenne de 70% jusqu’à atteindre parfois 95%. Et on peut dire que ces années-là ont été plutôt bonnes, pour la croissance. »

La tête de Mr Dell.
Derrière le masque du sourire glacé, on le voit mentalement renforcer le blindage de la salle des coffres et doubler les équipes de sécurité. Putain, mon pognon. Ils en veulent à mon pognon. Gagné à la sueur de mon front. Salauds ! Gauchistes ! Communistes !
Qu’ils viennent me chercher. Je suis prêt. Je les attends.

Ils viendront, Michael, ils viendront.
Un jour.
Dans pas très longtemps.

Ouest

– Et toi qui regardes le ciel, que préfères-tu, l’est ou l’ouest ?

– Dans le ciel, je vois des nuages et toute la course du soleil.

– Le levant ou le couchant ?

– Le dîner ou le petit déjeuner. S’asseoir. Manger. Boire. Répéter. Nous ne sommes que des estomacs.

– Tu ne réponds pas.

– Tous les jours. La même faim. La même soif. Et nous, forcés de nous asseoir à la même table, encore et encore. Tous les jours le même refrain, la chanson du ventre vide et du ventre plein. Se lever. Se coucher. Comment pouvons-nous supporter ça ?

– Le lever ou le coucher ?

– Se lever, pourquoi ? Se coucher, pourquoi ? Douche et petit-déjeuner. Et ce soir il y aura le dîner. Entre deux un espace vague. Un décompte macabre. Moins une seconde moins une seconde moins une seconde. Un très long crépuscule.

– Justement, plutôt aube ou crépuscule ?

– La nuit mange tout et l’aube régurgite tout. La fumée des usines et les tas de linge sale. Toute la laideur du monde, tout ce qu’on voudrait oublier, l’aube se charge de nous le rappeler. Tous les matins. Obstinément.

– Alors, tu préfères l’ouest.

– L’ouest marche sans cesse vers le bord bleu de la terre, à l’endroit où le soleil vient se noyer chaque soir. Chaque soir je crois qu’il est mort et je me couche en espérant qu’il n’y ait pas de matin.

Supplique du 48ème Forum Économique de Davos à Donald Trump

Au  45ème Président des États-Unis d’Amérique,
Cher Monsieur Trump,
Bien-aimé Donald,

Jusqu’au bout nous avons espéré Ta venue, mais hélas un sort contraire en a décidé autrement.
Nous sommes en pleurs et dévastés.
Ta chambre, que nous avions nettoyée et désinfectée avec soin, Ta chambre restera inoccupée et personne ne souillera Ton lit sacré. Il en sera ainsi jusqu’à Ton retour car nous savons bien que Tu reviendras.

L’année dernière, T’en souviens-Tu, nous faisions semblant de Créer un Futur Commun dans un Monde Fracturé*, et ça T’avait bien fait rigoler. Vous êtes vraiment trop cons, disais-Tu, Je vais vous expliquer. En vérité, la fracture est bonne. La fracture est belle. Elle est essentielle. Il faut aimer la fracture, l’élargir, l’approfondir. Une belle grosse fracture entre nous, les riches et eux, les gueux. Un Grand Canyon électrifié. Nous en-haut et eux en-bas.
Et au-dessus, un beau mur.

Tes mots ont porté, Cher Donald. Tu nous as libérés. Délivrés du bâillon des périphrases, du jargon lyophilisé et des euphémismes customisés pour éviter d’appeler un chat une chatte et un économiquement faible un pauv’ clodo.

Ah putain, que ça nous a fait du bien.

Depuis Toi, le monde s’est simplifié.
Les gonzesses sont juste bonnes à tirer. Il faut enfermer tous les pédés, les bi, les trans, les bronzés, les bridés, tout ce qui n’est pas blanc, caucasien et républicain. Il n’y a pas assez d’eau dans tous ces océans et tous ces murs de neige ne font qu’à refroidir la terre, que Dieu a créée en 7 jours avec le Big Mac pour tuer le cancer.

Cher Donald, Tu es et Tu resteras toujours le meilleur d’entre nous, le plus Grand, le Parrain. Le premier à nous avoir envoyé une invitation officielle pour assister à l’ouverture de la salle des coffres en présence des plus hautes autorités. Le premier à nous avoir donné les clés avant d’amener les camions pour emporter le butin, sous la protection du beau drapeau américain.

Avant Toi, nous vivions sous la menace de la loi.
Maintenant, la loi, c’est Toi.
Alors, reviens-nous très vite Donald. Nous sommes si peu et il reste tant de minerai à extraire, tant de gaz à fracturer. Tant de filles à attraper et tant de fric à détourner.

Nous n’y arriverons jamais, sans Toi.

Ton très dévoué Forum

*En 2018, « A Shared Future in a Fractured World » était le thème official du Forum Économique de Davos.

Médor à bord

Depuis cinq minutes, j’ai le nez dans la croupe boursouflée d’un gros 4X4, pots fumants et pneus de tracteur. Posé en évidence au sommet de la vitre arrière, un autocollant triangulaire signale la présence d’un bébé enfoui quelque part dans les entrailles de ce tank démilitarisé.

BÉBÉ À BORD

Bien, et alors ? Une fois de plus, je m’interroge. Que faut-il faire ? Quelle attitude adopter envers ce bébé ? Peut-être faudrait-il profiter de ce providentiel bouchon pour aller s’enquérir du sens de la démarche consistant à annoncer au monde entier la présence d’un enfant en bas âge dans son habitacle.
Dites-moi, Madame, Monsieur, oui, baissez votre vitre, s’il vous plaît. Je voulais connaître la signification de cet autocollant sur la lunette de votre custode. En fait, et pour ne rien vous cacher, je me demande en quoi la présence de votre progéniture ficelée sur le siège arrière de votre voiture pourrait bien me concerner.

Manque de bol, le feu passe au vert.

Peut-être qu’il manque un élément graphique pour compléter le message qui figure sur l’autocollant. Une grosse flèche jaune pointant sur le texte BÉBÉ EST ICI ! Ainsi prévenu avant de s’encastrer dans le cul du véhicule qui le précède, le chauffard multirécidiviste peut in extremis diriger son pare-chocs vers une zone moins pourvue en chérubins.

Manque de bol, il explose Médor.

Sur le côté opposé de la lunette arrière, on indique alors : CHIEN À BORD. Dérouté, et encore sous le coup de l’accident précédent, le chauffard fait un écart, effectue un demi-tête-à-queue avant de défoncer le flanc droit du véhicule où bébé dort à côté du nouveau Médor.

Ce faisant, il pulvérise une portière et le pack de bières calé derrière.

Sur la lunette arrière, le propriétaire du véhicule réparé colle un troisième autocollant. BIÈRE À BORD. Prudent, il ajoute, en lettres rouges, juste à côté CONDUCTEUR AUSSI.
Submergé par ce flot d’informations, le chauffard ne sait plus où donner du pare-chocs. Il freine à mort. Il s’immobilise. Il se gare sur le bas-côté.

Il sort de sa voiture.
Il continue à pied.

La femme qui danse

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« Here is America’s favorite commie know-it-all acting like the clueless nitwit she is…”
« Et voici le vrai visage de la nouvelle communiste favorite de l’Amérique, Madame je sais tout, en réalité juste une petite idiote décérébrée… »

Ce tweet a été publié par AnonymousQ1776. Un monsieur ou une dame, on ne sait pas. Depuis, il a été effacé et la page d’AnonymousQ1776 n’existe plus. Pour bien mesurer toute la gravité de la situation, je vous invite à regarder le lien qui accompagnait ce court message.
L’étudiante qui danse sur les toits voisins de l’université de Boston s’appelle Alexandria Ocasio-Cortez. Elle a n’a pas encore 20 ans, et on dirait bien qu’elle s’éclate, la jeune écervelée, alors qu’il ne faut surtout pas rigoler quand on est encore à l’université.

9 années plus tard, Mme Ocasio-Cortez est devenue la plus jeune femme de l’histoire élue au congrès américain. Plus rouge que rouge, son programme politique est directement inspiré de celui de feu Joseph Staline : assurance-maladie pour tous, universités gratuites et arrêt de l’utilisation des combustibles fossiles financé par une hausse d’impôts sur les revenus dépassant 10 millions de dollars par année.

Et puis quoi encore, le goulag, peut-être ?

On voit bien la menace que constitue cette jeune femme délurée pour un pays gouverné par un pervers polymorphe resté coincé à l’entrée du stade génital.

Donc, dénonçons la femme qui danse, petite idiote sans cervelle. Dénonçons la joie qui l’habite, le sourire qui l’illumine, ses cheveux qui volent, ses bras qui se tendent et ses mains qui voudraient attraper le ciel.
La femme qui danse n’est pas sérieuse.
La femme qui danse est dangereuse.
Sous son T-shirt et sa jupe légère, la femme qui danse cache une sorcière.

Heureusement, dans la salle du gouvernement, l’ordre règne en noir et blanc. La moyenne d’âge est de plus de 150 ans. Pas de danse. Pas de chant. Orange et blond, le président veut un mur, un mur, un vrai, pour le protéger, lui et son argent.

Un jour la femme qui danse prendra la place du président et sur les débris du mur, on verra danser les enfants.

Rêver

Les yeux ouverts, rêver.

S’il fait gris, rêver de bleu.
S’il pleut, rêver de soleil.
Si le monde est moche, sauter en marche, perdre pied, glisser et se raccrocher aux bords brillants des nuages.
Distendre les semaines et bousculer l’ordre des jours. Ajouter une sainte inconnue au morne calendrier des mâles béatifiés : sainte Lutine, patronne des baisers ou sainte Escarpine, ouvreuse officielle du bal des longues nuits d’été.

Construire des mondes de sable et de vent.
Inventer une terre plus légère où une tasse de chocolat chaud soignerait le cancer.
Revenir dans le temps. S’arrêter. Se retourner, un quart de seconde avant l’arrivée du train. Ne pas monter. Inventer un autre voyage, d’autres paysages et d’autres moments.

Vivre une autre vie.
Et mourir, aussi, mais mourir autrement.

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