Entre la gomme et la rustine

Encore un verre encore,
Encore un jour.
Une dernière nuit.
Une dernière heure.
Un peu de rab.
Une seconde supplémentaire,
Courte ou longue,
Élastique,
Toute une vie,
Tout un monde,
Dans une seule seconde.

Les yeux des enfants.
Une femme qui tombe.
Juillet bleu et blond,
Le froid qui mord,
Et la nuit rouge
Aux yeux brillants.

Le sifflement éteint
Du temps qui fuit
Par une fente étroite,
Son odeur de caoutchouc
S’échappe
D’une chambre à air
Coincée
Dans un vieux pneu crevé
Qui tourne à l’horizontale
Au bout d’un axe rouillé
Qu’un vieux moteur fatigué
Cessera bientôt d’entraîner.

Discours de Bill Gates à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du 49ème Forum Économique de Davos

Trois ans. Trois ans déjà, chers amis, vous en souvient-il ? Il y a trois ans sur cette même estrade, je vous parlais de la peur. De l’angoisse que j’éprouvais à l’idée de voir une horde de clodos faméliques venir mugir dans nos campagnes, égorger nos fils et nos compagnes, saccager l’acajou de nos yachts et balancer sur nous de grands coups de tatane.
Pour vous dire la vérité, très nantis amis, j’ose à peine vous dire que j’avais déjà réservé mon billet pour aller sur Mars avec quelques compagnons de fortune. Nous y aurions mené une existence paisible, entre gens de bonne société, loin du chaos et des cris indécents de tous ces crève-la-faim qui tueraient père et mère pour un steak d’agneau.

Mais voilà.
La PANDÉMIE.
Personne n’y avait pensé. Personne. Même pas moi.

Au moment où le bon peuple allait sur nous retourner son courroux, un virus est né, qui vient nous sauver. Ah ça, on peut dire que ça a bien calmé tous ces gueux qui voulaient s’en prendre à notre fric. Intubé à l’hosto, on est nettement moins révolutionnaire et ses idées écolo-égalitaires, on peut se les enfoncer bien profond au fond de ses poumons.
Ah putain, on a eu chaud.
C’était moins une mais voilà. Je vous le dis, ce virus, c’est la providence qui nous l’a envoyé. Il y a une année, il fallait qu’on partage. Je me souviens de ce professeur, ici, sur cette même estrade, qui voulait qu’on paie des impôts. Des impôts, vous vous rendez compte et pourquoi pas une distribution gratuite de pognon ? Ah les cons ! Ah les cuistres !
Aujourd’hui, plus question de révolution. On est revenus aux basiques, aux vraies valeurs. Travail, s’il en reste. Famille, rétrécie. Patrie, cadenassée. Et un masque sur ta bouche au cas où tu aurais encore envie de l’ouvrir, de réclamer du pognon, de l’air pur ou de l’égalité.
Je dis pas, même pour nous, les happy few, cette situation a pu engendrer de sérieux contretemps. Tous les tournois de golf ont été annulés. Pareil pour les bals de débutantes et pour nos œuvres de charité. Mais qu’est-ce que cela, au regard de la populace confinée pendant des mois dans vingt mètres carrés remplis jusqu’au plafond par des provisions de pâtes et de papier de toilette ?

Mais surtout, chers amis, surtout ce virus insensé nous a rapporté gros, très gros. Et ce n’est que le début. Le 26 août 2020, mon très cher ami Jeff Bezos est devenu la première personne au monde franchir la barrière magique des 200 milliards de fortune. 100 milliards de plus rien qu’en restant ouvert pendant que les autres étaient fermés. Ah l’enfoiré ! J’aurais dû écouter mon père. Un jour, il y a longtemps, il était descendu au garage et il me regardait faire derrière mon écran. Il est resté là, sans rien dire, pendant un bon moment. Alors, je lui ai demandé :

– Ça t’intéresse papa ?
– Pas vraiment. Trop compliqué.
– Rien de compliqué. Je travaille sur un nouveau programme.
– Un nouveau programme. Tu veux que je te dise, tes trucs d’ordinateur, ça te rapportera rien. Tu ferais mieux d’ouvrir un magasin.

Cette année le forum de Davos aura lieu en mai à Singapour. Ainsi, les nantis resteront bronzés et les petits fours aussi.