Mon personnage

Alors, j’ai créé mon personnage.

Mon personnage à coller sur les murs, pour les arrêter dans la rue, les faire venir le soir, qu’ils me regardent sans jamais pouvoir me voir. Je voulais qu’ils me devinent, qu’ils m’entrevoient. Je voulais les suspendre aux replis de ma robe, je voulais qu’ils attendent, qu’ils guettent l’instant où apparaîtrait un coude ou une cheville, un bout de bras ou de jambe, l’espace d’un quart de seconde.

Un tout petit quart de seconde.

Je voulais les frôler, les effleurer, les tenir délicatement entre deux doigts avant de les relâcher, la tête remplie de creux et d’ombres, les yeux fatigués d’avoir essayé de me reconstituer avec quelques éclats de chair, de tout petits morceaux de moi.

Rouge eau

Le froid qui remplit la nuit n’épargne aucune peau, aucun visage, fige les lèvres remplies de crevasses ou de rouge et la pluie, la pluie tombe sur les pieds nus, glisse sous les semelles Vibram et les talons Louboutin.
Aucun parapluie n’empêchera jamais la pluie de tomber, de recouvrir le sol, goutte à goutte, par petites taches sombres sur toute la poussière de la terre, sur le sable et sur les cailloux et sur le ruban noir des autoroutes qu’elle transforme en rivières scintillantes au crépuscule des villes.
Et les flaques impassibles s’étalent doucement, posées à plat sur les tarmacs de béton triste où les tapis rouges se gorgent d’eau. Tranquilles et lisses, les flaques masquent leurs profondeurs sous un glacis de ciel gris en attendant le passage programmé du prochain escarpin.

The captain of my soul

Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.

In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.

Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.

It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate :
I am the captain of my soul.

William Ernest Henley, 1875

La beauté du grain

Élevés en cages électroniques, les œufs virtuels sont toujours parfaitement symétriques.
Calibrés au quart de millimètre.
Zéro défaut sur la coque en plastique.
Aucune bosse pour provoquer une ombre ou allumer un reflet.
Une surface purement mathématique, délivrée des aléas du monde qui glisse, tache, dérape, sue, pue, du monde qui vieillit et se fane; une surface immobile, immatérielle, immortelle, enfin débarrassée de tout ce qui fait la beauté du grain patiné à la main.