Sors si tu es un homme

Je suis sorti, parce que je suis un homme. Il ne l’avait pas dit, mais mieux que ça, il l’avait suggéré, le chafouin, le fourbe, le Machiavel sur roues. Cuissard long et veste imperméable. Bonnet sous le casque. Surchaussures pour la forme. Gants pour rigoler.
À vélo, quand il pleut, on finit toujours trempé.
Il fait un froid mouillé. La neige s’accroche encore aux soupentes de ce ciel buté, aussi noir que l’asphalte sur lequel je m’engage, hésitant et déjà frigorifié.

–  Cornecul mais qu’est-ce que je fais là, hein, dis-moi ?

Tout au plaisir de sa première sortie annuelle, mon vélo ne me répond pas.

– Ah voilà. Maintenant qu’il prend l’air, monsieur est content. Les roues à l’aise, le guidon au vent. Forcément, tu t’en fous. Ton épiderme en fibre de carbone est à l’épreuve des balles, alors la pluie, tu ne comprends même pas ce que c’est la pluie et le froid, tu ne le sens pas.

J’hésite sur la direction à prendre. L’ouest fait dans le noir clair, l’est dans le gris foncé. Cowboy solitaire de la route, je mets ma roue avant dans le sens du soleil couchant. En voiture Simone, roulez jeunesse, après la pluie vient le beau temps, et au bout du tunnel, un train qui fume attend.

L’attaque du vélo

Le vélo On voit bien que tu es vivant et on s’en fout un peu du comment.

Le cycliste : Comment ça on s’en fout du comment ?

Le vélo : Ben oui. J’en ai rien à branler de savoir comment tu as survécu jusqu’à ton âge avancé. Bien sûr, c’est intéressant ton histoire de dérapage, tes petites aventures pré-pubescentes. Le jour où tu t’es mis une boîte à ski qui t’a laissé à demi-mort dans ton tas de neige. La fois où tu as pris un coup de fenêtre derrière la tête ou ce virage où tu as manqué de mettre la voiture de ton père en vrac dans un fossé. Raconte pas ta vie, y a rien à raconter.
Ta vie, elle dure cinq minutes à tout casser.

Le cycliste : Oh putain, je vais tout de suite te mettre sur ebay.

Le vélo : Tu sais quoi, faisons un tour du lac.  170 kilomètres, ça devrait te calmer.

Le cycliste : Regarde un peu dehors, t’as vu le temps qu’il fait ?

Le vélo : Justement. Dans ton cas, quoi de mieux qu’une douche glacée ? Une fois ton cerveau refroidi, on pourra discuter. Entre adultes. Je t’expliquerai que oui, ta vie fut un enchantement, oui, tu as survécu à bien des malheurs, et oui,  bien que chenu et faisant sous toi,  tu es encore beau et fort et que le monde entier t’envie ce corps fuselé, cette paire de jambes faites pour pédaler. Ensuite, tu pourras toujours essayer de m’expliquer pourquoi ce besoin soudain de te charger à l’électricité.
Alors, sors, on va s’expliquer dehors.

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