Sous la jupe du dragon

Le jour du dragonC’était au mois d’août. Nous étions plusieurs installés derrière une table, juste devant la vitrine de la librairie La Liseuse à Sion. C’est là que j’ai rencontré Marie-France Vouilloz Burnier et son étude sur les femmes d’Hérémence dont j’ai déjà parlé.
J’ai aussi fait la connaissance d’Alain Bagnoud qui présentait Le Jour du dragon, le deuxième tome d’un récit autobiographique qui en comptera 7. Le petit garçon du premier volume, La Leçon de choses en un jour, a pris quelques années. Il vit toujours dans le même petit village valaisan. La famille, l’église, les montagnes sont toujours là mais les années 70 ont repeint le paysage avec de nouvelles couleurs et des fumées pas très catholiques. Le récit se concentre sur une seule journée : le 23 avril, la fête de la St Georges, le saint patron de la commune d’Aulagne. Avant de partir sur les routes pour jeter à la face du monde les accords déchirants de sa guitare électrique, le narrateur se prépare à son premier défilé dans la fanfare des dorés. Là où jouent son père et ceux de son clan. A bonne distance des argentés, la formation du parti adverse, composée de musiciens au jeu mécanique et dépourvu d’émotion. Le jeune homme se met en place, le tambour sur l’épaule. La musique démarre. Le groupe part au signal et défile au pas. La St Georges a commencé. Suivent toutes les étapes rituelles, la messe et le sermon. La réunion de l’assemblée villageoise qu’un verre de vin blanc tient en équilibre. Les discours. Les appartements à construire pour les touristes qui arrivent et qui jouent au golf, parfois. Justement, il y a cet endroit, ce plateau bien lisse au-dessus de la plaine : il suffit d’en discuter, de s’arranger pour que les flots d’argent frais coulent dans la bonne direction. Voilà pour le plan large.
Pour le plan serré, le narrateur utilise son nouveau statut de musicien officiel pour se rapprocher des musiciennes et rejoindre le groupe des filles très loin, de l’autre côté de la place du village. La traversée est mouvementée mais la tentative réussit et se conclut par un baiser échangé dans la pénombre de l’église où St Georges vient d’être célébré. Le voyage se poursuit dans l’atelier d’un peintre où le narrateur est confronté avec violence et pour la première fois à la représentation crue du corps féminin et des ses parties intimes. Le voyage se termine dans le garage de la première boum. Le rock, les slows, les garçons d’un côté, les filles de l’autre, le premier joint et la dernière danse dans les bras de cette demoiselle aux multiples bracelets et au merveilleux sourire.
Alain Bagnoud vient de là. Il parle de ce qu’il connait, de ce qu’il a vécu. Sans fards, parfois avec une distance amusée et attendrie sur cet adolescent mal assuré et malhabile, descendu de son village pour étudier en ville. Un adolescent en voie de développement.
En ce temps-là, dans ce pays-là, les filles étaient farouches, Katmandou un mythe inaccessible et rouler un joint l’étape ultime de la transgression. C’était au début des seventies. Un siècle plus tard, le vinyle est toujours vivant et il sonne bien plus vrai qu’un fichier MP3.

Alain Bagnoud, Le jour du dragon, Éditions de l’Aire, http://www.editions-aire.ch
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Sous la jupe de Neil

YoungJe me suis approché du haut-parleur, derrière la grille sous le plafond. C’était bien la voix de Neil Young. Jamais entendu la chanson. J’avais la chair de poule et presque les larmes aux yeux. Ce qui sortait du haut-parleur, c’était des pavés de musique lourde, de la batterie brute et une guitare enrouée. Sur ce son carré flottait le fantôme blanc de la voix de Young.
Les mots n’arriveront pas à décrire la texture des notes qui tombaient du plafond. La musique se passe d’explications ou de courroie de transmission. Pas besoin de savoir lire ou écrire, parler l’anglais ou le mandarin, le son passe directement dans le sang.
Comme je me trouvais justement dans un magasin de musique, c’est dingue, je me suis approché d’un vendeur nubile en caressant l’espoir fou que cet adolescent pourrait me renseigner sur la chanson. Ce qui me permettrait d’acheter l’album. De retrouver la mélodie. De la repasser en boucle et bien à fond, tout au fond des oreilles. Le jeune homme était parfaitement au courant. Il s’est dirigé vers un rayon et m’a tendu une galette brillante et prête à enfourner.
Béni sois-tu, vendeur inspiré d’avoir illuminé ma journée. Quand j’y repense, j’ai toujours le même vertige, il me faudrait des tentacules, des antennes, des espions. Des clones qui ratissent le monde une loupe à la main  à la recherche du son, du mot ou de l’image qui sauront me percuter le cœur jusqu’au fond des yeux.
Neil Young and Crazy Horse, Prime of Life, Sleeps with Angels, 1994.

Sous la jupe des garçons

JupeHommeJe me promène le long du lac.
Le dimanche matin, les flâneurs apprennent aux joggeurs l’art de l’esquive. Derrière moi, un son mécanique qui grandit : le bruit d’un petit moteur et le couinement énervé des engrenages qui frottent à toute vitesse. Une voiture rouge me dépasse, suivie de son petit propriétaire penché sur les manettes de la télécommande.  Le papa suit, prêt à intervenir en cas de sortie de route ou de collision.
La voiture rouge. Le petit garçon. Le papa.
J’ai pensé à la même scène au féminin.  La voiture rouge. La petite fille. La maman.
Est-ce que la petite fille devient un garçon, à la fin ?

Sous la jupe de septembre

Summerback1Premier septembre
Je saisis l’occasion de ce jour sournois et rempli de l’odeur écœurante de cuir rance qui imprègne les fournitures scolaires de la rentrée pour m’élever solennellement contre l’arrivée de l’automne, saison fourbe, lâche et veule qui se prépare comme chaque année à tirer dans le dos nu de l’été.