Chasser le mammouth ou le mégacéros

Nous sommes tous des machines, rien de plus, finalement.

Des machines à chasser le mammouth ou le mégacéros et nos mains pour façonner le monde sont devenues des pelles, des pioches ou des haches; des pelles-mécaniques ou des tronçonneuses.

Nous ne sommes que des outils, finalement, et depuis ces milliers d’années passées à soulever la poussière des sentiers ou des autoroutes, nous n’avons fait que ça, affûter nos outils et nos armes, inventer le fil à couper le beurre et les grues à gratter le ciel, frotter une étincelle avec un peu de poudre dans le fût d’un canon ou d’une ogive nucléaire.

Nous sommes mécaniques, finalement, et nous perdons notre temps depuis la nuit des temps.
Le monde qui vient a besoin de jambes et de bras. Le monde à venir veut des pectoraux, des abdominaux et des triceps puissants. Le nouveau monde recherche des électrodes à brancher sur les crânes pour muscler les cerveaux, leur faire perdre toute cette masse grasse, sectionner toutes ces connections inutiles qui s’illuminent sans raison pour un oui ou pour un non. Débrancher ces neurones qui s’émerveillent de la finesse irréelle des attaches d’une main sculptée dans le marbre et s’émeuvent de la beauté des phrases d’une langue disparue que plus personne ne parlera jamais.

Débrancher le cœur, enfin. Le connecter à un vélo d’appartement. Éliminer les coups de cœur, les coups de blues et les coups de sang. Garder ses propriétés cardiovasculaires. En faire un programme d’entraînement.

Une chanson, trois fois par jour

Prenez un grand groupe pharmaceutique que nous appellerons Atlantis pour les commodités de la conversation. Atlantis est une entreprise internationale cotée en bourse qui publie chaque année un rapport annuel de 350 pages illustrées de mâles cinquantenaires en costume gris souris de laboratoire qui expliquent pourquoi, cette année encore, Atlantis a ramassé un gros paquet d’oseille en vendant des médicaments pour guérir les humains du cancer et les oies du foie gras.

Mais comment font les cadres de chez Atlantis pour maintenir en toutes circonstances l’alignement impeccable de leurs incisives et où trouvent-ils tout ce pognon ? Pour le savoir, il faut s’enfoncer dans une série de couloirs aux portes protégées par des systèmes cryptés qui mesurent à la fois la pression sanguine et la température anale de chaque collaborateur avant de lui permettre de s’enfoncer plus loin dans le cœur ultra-sécurisé de la grande matrice et de pénétrer enfin dans le saint des saints, un cube de verre enfoui à deux-cents cinquante mètres au-dessous du niveau du sol. Là, confinés en combinaisons blanches dans une atmosphère stérile, une armée de chercheurs haves travaille en silence à l’élaboration de la nouvelle pastille autopropulsée qui détectera les tumeurs malignes et les détruira d’une simple chiquenaude de son rayon laser. Mis en vente, le médicament en question sera conditionné sous vide et vendu au prix de 450 Euros la paire. Je sais. C’est un peu cher. Mais tous ces chercheurs sortis des plus grandes écoles qui travaillent la tête dans le sac, pendant des années, sans jamais voir leurs enfants ou la lumière du jour, ces chercheurs, tout de même, vous ne croyez pas qu’ils travaillent pour du beurre, non mais sans blague ? Le médicament téléguidé! Le vaccin contre la grippe! Les antidépresseurs! Et l’Alka Seltzer, justement, parlons-en de l’Alka Seltzer! Voilà un médicament qui sauve l’humanité qui souffre, un étau sur la tête et la tête dans le postérieur, je me précipite chez le pharmacien qui me tend le paquet familial, ça fait 7 Euros 65, merci docteur, c’est le prix pour le médicament.

7  Euros 65 centimes pour 30 comprimés effervescents à dissoudre dans un verre d’eau. C’est normal. Les chercheurs ont eu beaucoup de mal. Après des années d’efforts, ils ont fini par comprendre que l’assemblage acide acétylsalicylique,bicarbonate de sodium et acide citrique combattait efficacement les effets de l’assemblage bière, vin blanc, vin rouge, dessert, café, pousse-café et mignardises pour ceux qui arrivent encore à viser. D’ailleurs, essayez de dire acide acétylsalicylique, juste pour voir. Rien qu’à l’énoncé de la composition on sort tout de suite ses 7,65 Euros en remerciant Dieu d’avoir livré quelques-uns des plus obscurs secrets de sa création à des cerveaux mieux équipés que le mien.

Pour les jours où ma tête peint le monde en noir, je fais pareil, je regarde dans la liste et je prends une chanson. Je sais, c’est ridicule, une chanson, ça ne sort de rien. C’est un junkie chevelu qui l’a couchée au rouge à lèvres sur un coin de son lit un soir où il avait trop pris. Une chanson pèse zéro gramme et peut être livrée électroniquement sans aucun emballage. Une chanson n’est  jamais testée en laboratoire ou sur des animaux. Une chanson n’a aucun principe actif, c’est encore moins qu’un placebo.

Et pourtant, aussi sûrement que la pastille effervescente relâche les pinces de la tenaille qui enserre mon crâne, cette chanson en deux secondes, fait briller mon paysage, lave mes nuages à grande eau et dépose une infime couche de bonheur sur les murs noirs de mon intérieur.

Crème glacée au poulet

Purée de volaille

Le Service du Département de l’Agriculture Américain en charge de l’inspection et de la sécurité alimentaire explique comment on obtient de la pâte de volaille désossée mécaniquement : on prend des carcasses de poulets, de dindes, de canards, d’oies ou d’autres animaux de basse-cour. On les envoie à très haute pression dans un tamis qui permet de détacher les derniers petits bouts de viande accrochés aux os. Ensuite, on concasse, on hache menu, on malaxe, on écrase, jusque à obtenir ce boa extrudé, couleur fraise polypropylène que vous pouvez voir sur la photo et qui servira de base pour la confection de délicieux beignets au poulet.

En même temps, toutes ces carcasses, on ne sait pas trop depuis quand elles attendent la désintégration. Certaines sont venues à pied, d’autres en avion. On n’est jamais trop prudent. Alors, avant de concasser, on lave, on rince, on désinfecte à l’ammoniaque pour être sûr que le canard est bien propre sur lui avant d’aller ramoner nos intérieurs. Le problème c’est qu’à 90 degrés, l’ammoniaque atténue l’éclat des couleurs. Essoré, le canard blêmit et n’allume plus cette lueur concupiscente dans l’œil morne du consommateur qui pâlit, lui aussi. Il s’étiole, il baille, il s’anémie, il se souvient des jours anciens ou le poulet avait des ailes, de la cuisse, un bouquet garni et une gousse d’ail calés tout au fond du ventre. Il revoit le tournebroche tourner pendant des heures et la peau couleur chair pâle passer au caramel doré sous l’action conjointe de la braise et du vin blanc. Il entend sonner dimanche. Il a faim. Il salive. Il lui faut un poulet rôti, là, tout de suite et maintenant.

Alors, dans la pâte désinfectée qui a perdu ses trop rares couleurs, on ajoute une touche de rose porcin délavé pour que le consommateur oublie sa poule au pot et que le dimanche, il mange son beignet de poulet en rêvant à un pied de cochon.

La Vie de Brian

La Vie de Brian (1979) est un film des Monty Python qui retrace la vie de Brian.
Brian est né un 24 décembre dans une étable proche de celle de Jésus et visité par les rois-mages qui se sont trompés de mangeoire. Ensuite ça se complique. Extrait.

Les membres du Front Populaire de Judée sont assis dans l’amphithéâtre. Stan vient d’annoncer qu’il a décidé de devenir une femme et il explique pourquoi.

Stan : Je veux être une femme. À partir de maintenant, je veux qu’on m’appelle Loretta.
Reg : Hein !?
Stan : Je suis un homme. C’est mon droit.
Judith : Stan, pourquoi veux-tu être Loretta ?
Stan : Je veux avoir des bébés.
Reg : Tu veux avoir des bébés ?!
Stan : S’il le désire vraiment, chaque homme a le droit d’avoir des bébés.
Reg : Mais….. Tu ne peux PAS avoir de bébés.
Stan : Je te défends de m’opprimer.
Reg : Stan, je ne t’opprime pas. Tu n’as pas d’utérus! Où est-ce que le fœtus va bien pouvoir se développer ? Tu penses le garder dans une boîte ?
Stan se met à pleurer

Judith : Là, Là. Ne pleure pas. J’ai une idée. Supposons que nous soyons d’accord sur le fait qu’il ne peut pas avoir de bébés, vu qu’il n’a pas d’utérus. Ce n’est la faute de personne, non ? Même pas des Romains! Mais supposons qu’il pourrait avoir le DROIT d’avoir des bébés.
Francis : Bonne idée Judith!
Se tourne vers Stan 

Francis : Nous allons combattre l’oppresseur pour défendre ton droit à avoir des bébés.
Reg : (fâché) Et ça servira à quoi?
Francis : Hein ?
Reg : Oui, à quoi ça va servir de défendre son droit à avoir des bébés, s’il ne peut PAS avoir de bébés ?
Francis : Ce sera le symbole de notre lutte contre l’oppression.
Reg : Ce sera le symbole de son combat contre la réalité.

Pour le jour où les montagnes grandiront

Un jour, les montagnes s’éloignent et les chemins s’allongent.
Un jour, les branches prennent de la hauteur et on cesse de grimper aux arbres.

Un jour on s’assied.
On regarde, assis sur un banc au bord de la route. Assis derrière son volant. Assis derrière sa fenêtre. On visionne les images du monde qui défilent dans un cadre carré ou rectangulaire.

Un jour, on reste couché.
Sur le dos. Les yeux tournés vers le plafond du monde, les nuages et la neige indigo qui s’accroche aux sommets des montagnes. Un jour de printemps, la neige se retire, fait fondre les montagnes et s’évaporer le ciel, pose une couche de brouillard sur le double vitrage.

Un jour, le soir tombe dès le matin.
La nuit recouvre tous nos paysages et nos yeux se retournent pour voir les nuages qui s’accrochent aux sommets des montagnes et les flocons de neige qui tombent à l’intérieur.