Un peu plus haut, juste à côté

Gris. Gris lourd et gris de plomb. Gris suspendu qui dégouline. Gris souris, gris sécateur, gris mangeur de forêts qui avale la cime des arbres, gris glouton qui digère avec peine les derniers étages des immeubles, gris l’estomac plein et tiède, repu d’avoir englouti le ciel.

Gris sale et filandreux qui glisse, poisse les pattes des oiseaux sur les fils électriques, alourdit leurs ailes, les cloue au sol qu’ils labourent d’un pas lourd et hésitant.
Les oiseaux ne sont pas faits pour marcher.

Le brouillard, mat, atone et plat comme ma main, effaceur de formes et de couleurs, toute une vie sous l’éteignoir derrière ce fin rideau de brume, des jours gris qui tricotent inlasablement une résille triste et sans fin pour éteindre le monde et oblitérer le soleil.

La vie est ailleurs, là où le monde est rempli de couleurs. Là où souffle un vent froid et tranchant comme une lame. Là où la pluie à un goût de jasmin. Là où la neige tombe à l’horizontale, où l’asphalte se liquéfie en été et les pierres se fendent en hiver.

Là vie est ailleurs.

Un peu plus haut. Juste à côté. Il suffirait de grimper, de glisser, de faire une embardée au lieu de s’arrêter. Il suffirait d’ignorer la voix qui débite les arrêts en tranches électroniques. Il suffirait de faire un pas chassé, un pas dans le vide, de déployer ses ailes et de s’envoler. Laisser le brouillard manger d’autres femmes, d’autres hommes, laisser le brouillard brouter dans ses gris pâturages, laisser le brouillard, les têtes de nœuds, les têtes de lard, les matins où le jour ne vient pas, les heures inutiles qui s’écoulent du flanc entaillé de la vie, goutte après goutte, ploc, plic, plic, ploc, ploc, une heure vient de passer, plic, une heure gaspillée, une semaine envolée, ploc, des mois sans voir le soleil, plic, des années remplies de vide et de brouillard, ploc, pendant que le soleil n’a cessé de briller, un peu plus haut, un peu plus loin, à quelques kilomètres, sur des plages immenses et sur les vagues légères que tracent les flocons de neige sur le dos des glaciers.

La vie est ailleurs. Un peu plus haut, juste à côté.

Des femmes qui tombent

Une femme sur trois a déjà été victime de violences dans le monde.

En France, une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

40% des cas de violences conjugales débutent lors de la première grossesse.

7% des femmes sont victimes d’un viol au cours de leur vie.

86% des viols ou tentatives sont perpétrés par des proches.

720 millions de filles victimes de mariages précoces.

15 millions de jeunes filles sont mariées avant 18 ans chaque année.

Près de 130 millions de femmes ont subi des mutilations génitales.

« Des Femmes Qui Tombent » est le titre d’un roman de Pierre Desproges paru en 1985 aux Édtions du Seuil.

De la neige

Le ciel bleu coule dans le lit des combes. Les combes, le creux de la main des montagnes, leurs paumes qui s’arrondissent, se referment tendrement pour recueillir l’eau des torrents et les éclaboussures des cailloux polis par le vent.
Des éclats de nuages s’accrochent aux strates horizontales qui traversent les barres sombres et remplies de crevasses.
De la neige, bleue, orange ou grise, acier et oultremer des nuits de pleine lune. De la neige rose des aubes d’hiver où le ciel rempli de foehn se donne des faux airs de couchers de soleil, vous fait voir la vie couleur marshmallow avant d’effacer tous les contours du paysage et de les délayer dans un grand pot de noir.

De la neige polie comme un cristal pour refléter le ciel.

De la neige plus sèche qu’un coup de trique qui fait craquer Noël.
De son odeur de gros sel jaune et vert lorsqu’il se mélange aux aiguilles des mélèzes, des gros baisers mouillés qui viennent vous lécher le visage, il faut s’asseoir, se coucher sur le dos, les bras écartés, ouvrir la bouche et les yeux. Choisir un flocon au hasard, très haut, aussi haut que porte le regard. Le regarder descendre, passer de la tête d’épingle au poing de ma main. Pas bouger. Regarder. Le monde se met à pencher, imperceptiblement, centimètre par centimètre, jusqu’au point de retournement.

Alors, suspendu par le dos au-dessus du vide, flotter un court instant avant de se laisser tomber à la verticale dans les cascades qui se noient entre deux vallées, au fond du delta des combes du ciel.

Call Me The Breeze

I got that green light, baby
I got to be movin’ out of here
I got that green light, baby
I got to be movin’ out of here
I might go out to California
I might go down to Georgia, might stay here

Well, they call me the breeze
I keep rollin’ down the road
Yeah, they call me the breeze
I keep rollin’ down the road
I ain’t got me nobody
I ain’t carry no heavy load

If there ain’t no change in the weather
Lord, there ain’t no change in me
If there ain’t no change in the weather
Lord, there ain’t no change in me
I ain’t hidin’ from nobody
Ain’t nobody hidin’ from me

Well, they call me the breeze
I keep rollin’ down the road
Yeah, they call me the breeze
I keep rollin’ down the road
I ain’t got me nobody
I ain’t carry no heavy load

J.J. Cale, 1972
http://youtu.be/_3XFs2r_99E