Le noir, à tâtons

L’hiver, la nuit, nous marchons dans le noir qui ne cesse de nous envelopper.

Et même s’il n’y avait que l’été et même si les étoiles disparaissaient, même si le soleil restait à jamais accroché au milieu du ciel couleur de métal jaune, et quand bien même la nuit aurait fini par glisser par-dessus la rambarde du crépuscule pour faire le grand saut dans le vide et couler dans les fonds pétrifiés de la mer des Sargasses, même si toutes nos ombres portées s’effaçaient d’un seul coup pour retirer l’obscur du clair et même si la lumière du jour s’enfonçait dans notre bouche et nous pénétrait à cœur, nous continuerions à marcher à tâtons dans le noir.

Les petites gens

Faisons une expérience. Prenons un individu mesurant 1m97. Installons-le debout devant nous. Que voyons-nous ? Rien! Très bien. Maintenant, demandons-lui de reculer de deux pas. Àâââh. Voilà que l’horizon se dégage. Encore deux pas et on voit les nuages. Encore cent pas et le voilà réduit à la taille d’un petit doigt. Plaçons maintenant sous ses chaussures une rampe d’escalier. Demandons-lui de descendre. Quatre marches et il disparaît à moitié. Dix marches et il disparaît tout à fait.

Les petites gens peuvent être très grands, ce n’est pas une question de taille, juste une question d’éloignement. D’abaissement. Les petites gens vivent très loin au fond de l’horizon, un étage au-dessous du niveau des voitures, parfois même un étage au-dessous des couloirs du métro. Blafards, ils arpentent des kilomètres de lumière artificielle à la recherche d’une issue, d’une ouverture, d’une trappe qui déboucherait sur le monde d’en-haut. Ils marchent, sans relâche, humblement, huit, dix ou douze heures par jour. Ils traversent toujours entre les clous, les petites gens, le petit peuple; ils travaillent dur et ils économisent. Ils achètent à crédit un écran, une action spéciale, achetez maintenant, payez l’année prochaine en 72 mensualités. Ils pensent à des vacances, mais avec les enfants…

Un jour, ils prendront des vacances. Un jour ils auront une maison. Un grand garage. Une voiture. Un jardin immense et une haie tout autour. C’est ce le présentateur leur dit, le soir, à la télévision.

La nuit, les gens d’en bas s’endorment en rêvant de soleil mais le réveil sonne toujours à cinq heures et il n’y a jamais de lumière derrière la porte ouverte de l’ascenseur.

Sur la face Nord de Paris (II)

Il y a « Pris » dans Paris.
Dans Paris il y a « Pars. »
Il y a « Parti » dans Paris.
Paris sans laisser d’adresse.

Dans Paris il y a la mer,
Les pavés accrochés à la terre,
Les coulées des phares qui ondulent
Et projettent leurs rayons parallèles
Sur le ciel de nos crépuscules

Paris endormie et bouffie
Paris prise dans la résille
Du passage des heures pendulaires.
Le métro fait trembler les murs,
Déchire le ventre tordu de l’orage
Et les gouttes sifflent sur ses rails brûlants.

Ça sent le fer, la rouille et la mer.
Ça sent le couscous et la bière.
Toutes les odeurs du monde
Se rejoignent ici,
Entre le sale gris et la terre,
Sur la face nord de Paris.

Il y a « Partie » dans Paris.
Allongée sur le dos,
Je reste.

En attendant la nuit.

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