Bless-mi, Bless-moi

J’en peux plus.

Tous les quatre ans, ça recommence. On élit un président américain. Rien de neuf. Comme partout sur la terre, vous me direz.
Mais là, c’est différent.
Tous les jours. Et même plusieurs fois par jour. Dans tous les discours. À droite, à gauche et au milieu. Votez pour moi ! Alléluia ! Je suis le plus beau ! Alléluia ! Je suis le plus fort ! Vous êtes les plus beaux ! Alléluia ! Ensemble nous sommes les plus forts ! Alléluia ! Plus de pognon pour tous ! Alléluia ! Exultation. Allégresse. Le meeting se termine, la foule vrombit et on envoie We Are the Champions ou YMCA au choix.
Alors pourquoi, POURQUOI ? Pourquoi faut-il que dans ce pays chaque discours se termine par God bless America ?

Je vous avertis, je suis au bord de la catastrophe surnaturelle.

Vous ne devriez pas jouer avec mes nerfs. Si vous croyez tellement fort en moi, vous savez bien qu’il suffirait que je pince entre deux doigts ce petit point sur le globe pour que, oups pardonnez-moi, survienne un méga-tremblement de terre. Manque de bol, c’est juste à l’endroit où sont entreposées toutes vos têtes nucléaires. Boum, boum et re-boum, après ce grand feu d’artifice, vous voudrez encore que je les bénisse, vos faces de culs de bénitier ?
Excusez-moi, je m’emporte, mais il y a de quoi.
Mettez-vous un peu à ma place. J’envoie partout dans le monde des paquets de prophètes noirs, blancs, café crème ou au lait, jaunes, rouges et même verts au petit matin après un abus de substances hallucinogènes. Tout ça pourquoi hein, je vous le demande ? Oui, vous, au fond de la classe qui dormez près du drapeau américain  ?

– Heu c’était quoi la question mon Dieu ?

Laissez tomber. Et retenez bien ceci avant de reprendre le cours de votre sieste. J’ai tout mélangé parce que toutes les couleurs se valent. Un être humain orange a la même valeur qu’un être humain blanc, jaune ou vert. Partant de ce principe simple, chaque individu sur terre reçoit donc une dose uniforme de bénédiction, deux gouttes avant chaque repas, pas d’utilisation prolongée sans avis médical.

Vous avez bien compris, dites, les Américains ? God bless EVERYONE ! Tout le monde. Tous bénis, pareils. Alors, s’il vous plaît, supprimez de vos discours cette injonction superfétatoire. Elle me casse les oreilles. Elle me fait mal au seins.
De toute façon, ça ne sert à rien de me demander quoi que ce soit.

Ça fait déjà très longtemps que je ne suis plus là.

Mémoires de moi (II)

Je n’ai jamais été enfant.

Tout petit, j’étais déjà très grand.
Beau. Fort. Très beau. Très fort.
Et bien sûr, très intelligent.
Un jour, je devais avoir trois ans, ils m’ont fait passer un test pour mesurer mon intelligence. Un test ? À trois ans ? Mais oui ! À trois ans, je savais déjà lire. Et écrire. Je vous l’ai déjà dit que j’étais très très intelligent. J’ai réglé l’affaire en cinq minutes, montre en main. Trop facile. Tout a toujours été trop facile, les questions, les réponses, le sport, les études, les affaires, les femmes ou l’argent.
Toute la vie quoi.
Les classes, je les ai toutes sautées sans jamais étudier. Les autres, les pauvres, je les voyais suer, alors que chez moi, tout était inné. INNÉ, vous comprenez ? TOUT ! Les langues, les mathématiques, la physique, la biologie et surtout la philosophie où j’étais particulièrement doué. Les penseurs grecs, romains, allemands, italiens…Tenez, Shakespeare par exemple, être ou ne pas être, grande question, GRANDE QUESTION !

Moi je suis. Moi. Tout simplement.

Mémoires de moi (I)

Je suis né tout seul.
Parfaitement. Tout seul.

J’étais dans le ventre de ma mère. Je nageais. Je faisais de l’exercice. Des tractions. Des abdominaux. Je prenais des forces. Je me préparais. Jusqu’au jour où, je me souviens très bien, c’était un matin, je me suis réveillé.
J’ai su que j’étais prêt.
J’ai nagé vers le haut. Je me suis retourné. Roulé en boule, j’ai donné un formidable coup de pied dans la paroi de son ventre. Le plus incroyable coup de pied que la terre ait porté. J’ai traversé le détroit du bassin en une fraction de seconde. Le périnée, je l’ai écarté. À mains nues. J’ai posé mes deux coudes sur son rebord glissant et je me suis propulsé dans ce monde qui n’attendait que moi.

Enfin libre, il ne restait plus que ce cordon qui me reliait à son ventre. Je l’ai porté à ma bouche. Il avait un goût de sang.

Je l’ai coupé avec mes dents