Bien sûr

Bien sûr j’ai peur, bien sûr
De marcher sur mon fil
Tendu entre deux épaisseurs de vide.
De tomber à la mer
Les quatre fers en l’air
En regardant s’éloigner les enfants.

Bien sûr j’ai peur, bien sûr
Des craquements du ciel,
Des arbres qui tombent,
De l’ombre des voleurs à la tire
Qui arrachent les ailes de la nuit
Et s’essuient les pieds sur le matin.

Bien sûr j’ai peur, bien sûr
À force de barboter dans le sale,
Dans tout ce gras qui colle à la terre,
D’oublier le chemin du pays des merveilles,
Le son de la musique des anges,
Mes oreilles prisonnières d’une cage d’ascenseur.

Bien sûr j’ai peur, bien sûr
De ces fissures qui me lézardent,
Des gouffres qui grondent à l’intérieur,
Du bruit mouillé que font les minutes
Qui creusent une rigole sur mon visage
Pendant que la vie s’écoule ailleurs.

Les femmes qu’on descend

C’est un message qui commence par « Quelques mots du fond du cœur. » D’autres mots suivent, que je ne vais pas reproduire ici parce que le coeur en question est celui d’Oscar Pistorius, coureur sans jambes que je tire pour quelques minutes des étendues de néant qu’il n’aurait jamais dû quitter.

C’est une histoire qui se passe à la Saint Valentin et justement, ça tombe bien, Oscar est amoureux. Très amoureux. Amoureux au point qu’il ne faudrait pas rigoler, ça non, on ne rigole pas avec l’amour, c’est ce qu’il explique à Reeva, son amoureuse.

Ensuite, on ne sait pas. Moi j’invente une histoire qui tient aussi bien la route que celle d’un cambrioleur qui descendrait du ciel et traverserait les murs pour venir se poser dans les toilettes d’Oscar. Je ne suis pas sûr que les cambrioleurs transplanent, pas plus qu’ils ne choisissent les toilettes pour voler des objets de valeur. On peut inventer cent, mille histoires plus crédibles que l’histoire du voleur. L’histoire de l’amoureux éconduit, par exemple ou celle de l’amoureux jaloux, c’est une histoire banale, pas besoin de se dématérialiser, pas besoin de se transformer en passe-muraille. Non. Des amoureux jaloux, on en a vu des centaines, des milliers, certains crient, d’autres pleurent, certains sont même détruits de l’intérieur. Ils serrent les poings. Ils bandent leurs muscles et ils frappent. Ils frappent des deux mains et elles se protègent. Ils frappent encore et elles se dégagent. Elles s’enfuient. Elles courent vers la salle de bains où elles s’enferment à double tour. Elles éteignent la lumière. Elles s’accroupissent dans le noir. Ils secouent de toutes leurs forces la poignée de la porte. Ils hurlent. Ils leur disent de sortir. Tout de suite. Maintenant. Mais elles, elles restent accroupies dans le noir. Alors, ils se dirigent vers la table, vers l’armoire ou le bureau. Ils prennent un pistolet noir. Ils tirent à l’aveugle derrière la porte. Ils tirent sans jamais s’arrêter. Bang. Bang. Bang. Bang. Les impacts font voler la porte en éclats. Bang pour la Saint Valentin. Bang pour les amoureux. Bang si jamais tu m’échappes. Bang si jamais tu t’en vas. Bang, le silence. Bang, tu es morte. Bang, tu baignes dans ton sang.

« Le mal et la tristesse me consument avec douleur ». C’est ce que tu as dit, Oscar, pour célébrer le première anniversaire de ton premier meurtre. La tristesse te consume et je parie que l’étape suivante sera celle de la rédemption. Je te vois bien ouvrir des orphelinats, Oscar, financer des hôpitaux distribuer ton argent aux pauvres, faire écrire un livre qui parlera de toi, de cette épreuve terrible et de la force que tu as trouvée en Dieu ou dans les plantes pour te relever, lécher tes blessures et reprendre ton chemin ailé sur tes prothèses en fibre de carbone. À ta mort, on inaugurera le stade Oscar Pistorius. Une colombe descendra du ciel et les enfants lâcheront des ballons,

Bang, elle est morte. Les experts en balistique prouveront que les balles ont été déviées par les rideaux du salon. Les avocats diront que c’était de la faute du pistolet. Bang, elle est morte, tout ça ne serait jamais arrivé si elle n’avait pas été là. Elle n’avait qu’a se tenir tranquille. Elle n’avait qu’à couper ses longs cheveux blonds.

Bang.

J’en ai assez. […] J’en ai assez de lire des faits divers où les femmes sont victimes d’agressions, ou de voir des photos d’elles battues et couvertes de bleus. Je suis fatiguée d’entendre parler de viols collectifs, ou de mutilations génitales, ou de violence sexuelle, sans qu’on attache de l’importance à ce qui pourrait être fait pour faire face à tout cela. Plus que tout, j’en ai assez d’entendre que l’on ne peut rien faire pour changer cela. »

Skin, Chanteuse du groupe Skunk Anansie, activiste pour One Billion Rising

Hermione et Ron

Assise dans un train entre Manchester et Londres, JK Rowling voit se former devant ses yeux l’image d’un petit garçon qui tient une baguette magique. Arrivée chez elle, elle écrit le début d’une histoire qui l’occupera pendant 17 ans, l’histoire d’Harry Potter, petit sorcier indiscipliné, obstiné, courageux, maladroit et parfois amoureux.

Aujourd’hui, l’histoire est terminée, mais les questions restent. Pourquoi Dumbledore meurt avant la fin ? Pourquoi Harry survit à Voldemort ? Combien d’étudiants à Poudlard et est-ce que Harry est un horcruxe ? L’histoire continue de s’écrire toute seule, portée par des milliers d’enfants ou d’adultes qui entrent dans le monde de JK Rowling, entretiennent les voies qui transportent le train des apprentis sorciers, remettent du bois dans la cheminée de la maison de Gryffondor, remettent une tournée de bièreaubeurre en attendant la nuit ou la neige, c’est selon.

Et JK Rowling répond, livre plus d’informations sur l’immense cathédrale cachée derrière l’écriture de ses sept romans. Elle répond avec une maniaquerie qui confine à l’obsession, à la possession, avec un luxe de détails qui laisse entrevoir tout le travail effectué derrière le rideau des mots et de l’histoire, la création d’un monde en somme, un monde créé en dix-sept ans, Dieu le père avait d’autres arguments.

Mais au bout du compte, on se retrouve avec un monde aussi rempli de pommiers que celui du jardin d’éden. Un monde en devenir que Mme Rowling regarde, revisite, remâche sans cesse au point de s’interroger sur la solidité du couple formé par Harry Potter et Ginny Weasley. Elle se fait du souci. Elle ne sait pas vraiment si ces deux-là vont pouvoir éviter l’écueil du divorce. Si elle y réfléchit, c’est évident, Harry aurait dû épouser Hermione, je sursaute, je me dis que non, là elle exagère. Le monde ne tourne pas comme ça, tout n’est pas toujours parfait, un couple ne se forme pas toujours sur des bases rationnelles, non, au contraire, ça peut se passer n’importe où et n’importe comment, dans un grand embrasement des sens qui pousse Gérard 1m98 et 120 kilos dans les bras de Robert 1m45 et quarante kilos au garrot, non, vraiment, il faut bien reconnaître que JK Rowling a perdu les pédales, elle déconne, elle plane, ça va être l’heure de sa pilule, et ensuite un gros dodo.
Non, sérieusement, il faudrait qu’elle consulte : les sorciers et les baguettes magiques, c’est dans sa tête que ça se passe, hein, JK, tout ça c’est pour de rire, maintenant, il faut redescendre, remettre tes pieds sur la terre ferme et quitter le monde des petits poneys.

N’empêche, Ron si tu m’entends : demain, c’est la Saint-Valentin. Alors, je te conseille de ne pas oublier les fleurs et la baby-sitter pour Rose et Hugo. Et pour une fois, trouve une idée vraiment cool pour la soirée, pas de pizza géante, pas de cheeseburger XXL, évite le plan bouffe tout simplement. Emmène Hermione n’importe où mais pas au restaurant, sinon tout ça risque bien de se terminer dans le cabinet du conseiller conjugal.

De la matière grasse et de l’eau

Oxygène, carbone, hydrogène, azote, calcium, phosphore, 95%. Ensuite, on ajoute une série d’éléments plus ou moins rares qui vont de l’azote au molybdène, on verse dans un Bécher  qu’on présente au-dessus de la flamme du bec Bunsen et on maintient le mélange dans une fourchette de température variant entre 36,1 °C et 37,8 °C.

Après neuf mois de cuisson lente, on obtient un être humain.

Qui peut croire à cette fable qui fait de nous un concentré d’eau et de matière grasse ? D’abord, apprenez que l’eau ne se mélange pas au gras. Faites l’expérience : versez une cuillère à soupe d’huile d’olive dans une tasse de thé à la camomille. Remuez pendant cinq, dix, vingt ou quarante minutes si vous êtes d’un naturel obstiné. Si vous continuer à remuer la cuillère de manière concentrique après plus de quarante minutes, il est urgent de consulter. Cessez donc de remuer, pour l’amour du ciel! Clinc, clinc, clinc, le tintement aigrelet de la cuillère contre la paroi de porcelaine va bientôt me rendre fou.

Voilà, respirons, laissons reposer un peu le mélange et que constatons-nous ? Je chausse mes lunettes et j’observe à la surface de la camomille une fine pellicule d’huile qui toujours pas coulé malgré toute l’étendue de vos transports. Et d’abord, je me demande bien qui a eu l’idée de mettre de l’huile d’olive dans la camomille, et pourquoi pas du gazole, tant qu’on y est ? Je vous laisse goûter, si le cœur vous en dit. Moi, rien que l’odeur me soulève le cœur.

De la camomille à l’huile d’olive, on a pas idée. Berk.

Pour connaître avec précision la composition exacte de l’être humain, il n’existe qu’une seule méthode fiable : prenez le sujet debout. Allongez-le bien à plat sur un matelas moelleux et ferme juste ce qu’il faut. Recouvrez-le d’un léger duvet de plumes recouvert de satin frais. Eteignez la lumière. Fermez la porte et laissez reposer. Après quelques minutes Clothilde a fermé les yeux. Elle se retourne. Se met sur le côté. Cale sa tête sur son oreiller. Sa respiration se ralentit. Clothilde s’endort et Clothilde sourit, elle s’en va, elle s’envole et là, on dispose d’un quart de seconde pour lancer son filet à papillons, un quart de seconde, pas plus, il faut être vif, précis, le geste doit être à la fois ferme et fluide pour arrêter délicatement l’élan de ce corps céleste et translucide; D’ailleurs, pour le filet, on n’utilisera que de la soie : seule la soie est assez délicate pour ne pas couper le fil des rêves.

Une fois Clothilde prise dans nos rets, nous n’aurons que quelques secondes pour prélever une mèche de ses cheveux avant de la laisser reprendre son envol et de retourner à notre laboratoire. Coupons les cheveux en segments de quatre centimètres et déposons-les dans une boîte de Pétri que nous présentons à l’objectif du microscope. Réglons la netteté et la profondeur de champ. Agrandissons dix-mille fois. Que voyons-nous ? De la poussière, on dirait. Agrandissons cent- mille fois. Des grains de poussière. Un million de fois. Toutes sortes de grains de poussière, de la poussière d’étoiles et de ciels, de la poussière de petits matins, des particules dorées de crépuscules d’été. Des atomes de rires d’enfants. De la pluie et de la neige. Des larmes grosses comme le poing. Des traces de sang. De l’air tendre et de la bise plus aigre que du vinaigre. Un grêlon minuscule. Un grain de blé. L’or gris des nuages. La mer. Une chute libre. Un cri. Deux yeux qui s’ouvrent. La première note de guitare. La nuit noire. La nuit blanche. Le parfum de l’encre. Le grain de sable et celui de la peau.

Tous ces grains de poussière qui font de nous ce que nous sommes, immenses et friables, colosses de pierre façonnés par le ciel et statues d’argile érodées par le vent.