Il y eut un éclat de rire général.
Au-dessus de nos têtes, tendues sur un fil précaire, des ampoules multicolores se balançaient doucement et creusaient des ombres mouvantes sur le visage effilé de Daan qui se tut, satisfait de son effet. Une fois de plus, j’eus le plus grand mal à plaquer l’image de cette silhouette gracile sur un profil d’aventurier. Et ses mains, si fines, si blanches, si soignées, comment les imaginer serrées sur la crosse d’un pistolet de métal lourd, dur et froid. À cinquante-quatre ans, il semblait à peine sorti de l’adolescence, flottant dans ses habits, t-shirts trop larges et jeans trop longs, recouvrant une paire de baskets toujours en fin de vie. Le clochard céleste de Kerouac mais aussi le chat du Cheshire, une fausse trace de sourire plaquée sur son visage, insondable et toujours flottant.
On ne remarquait jamais vraiment Daan Huysmans.
Taille et corpulence moyennes, yeux moyens, cheveux foncés mais sans excès. Encore jeune, peut-être, mais sûrement pas très vieux, il avait fait de la banalité son arme, sa couverture de survie, son ultime issue de secours au cas où les choses devaient mal tourner. On ne remarquait jamais Daan, sauf au moment de vouloir trop s’approcher de lui, comme ça, sans raison, juste pour faire connaissance, lui dire bonjour, échanger des prénoms. C’était si prévisible et si drôle à voir. Entre nous, c’était devenu un jeu et il n’ignorait pas que nous l’observions. J’en avais fait personnellement l’expérience, un soir de cocktails, de petits fours et de rosettes pourpres bien propres sur elles. Au fond de la salle, je vis un groupe d’amis. Je leur fis signe et m’approchai en remarquant à peine un homme que je ne connaissais pas l’extrémité du cercle. Je saluai chacun et tendis ensuite la main vers l’inconnu. Mon geste se figea à mi-chemin, empêché par le contact de ses yeux soudain vissés au fond des miens. Difficile d’expliquer ce qui se produisit alors. La meilleure analogie que je puisse trouver est celle du portique qu’on franchit dans les aéroports et qui détecte la présence d’objets métalliques. J’eus la même sensation, ma main immobilisée entre son ventre et le mien, en attente des résultats de mon analyse, à savoir si cette main ne présentait aucun danger pour sa main. Je me souviens très bien de ce moment, de l’attente, de ses yeux qui se figent, me radiographient froidement. Quelques secondes à peine. Ensuite sa voix, atone.
_ Enchanté, je suis Daan Huysmans, chargé de mission à l’ambassade de Hollande et vous ?
Moi j’avais pratiquement fait dans mon froc.