La petite fille au rouleau de bonbons

Paru le 16 février 2025.
En mémoire de la fille palestinienne morte avec un rouleau de bonbons dans sa main, tuée par un raid israélien, le 20 décembre 2023 à Khan Younis.

Dans la banlieue animée de Kahn Yunis, lovée au cœur de Gaza, naquit une petite fille. Elle grandit entourée de l’amour de son père (son baba) des soins de sa mère et de ses frères et sœurs – son univers, résumé à la simplicité de leur modeste logement. Chaque semaine, après la prière du vendredi, ils marchaient en famille vers la mer de Gaza, chaque pas un rituel précieux. Leur foi et leur amour réciproque résonnant à chaque écho de l’appel à la prière.

La jeune fille avait un lien fort et affectueux avec son baba. Par jeu, elle s’amusait souvent à faire semblant de se noyer pour l’attirer dans l’eau et la sauver en faisant appel à son désir instinctif de la protéger. Ensuite ses petites mains serraient bien fort les solides bras de son baba pendant qu’il la soulevait très haut dans le bleu infini du ciel de Gaza. Elle adorait le contact des grains de sable sous ses pieds et le pétillement frais de la mer sur sa peau alors qu’elle dansait et que les ondulations de l’eau reflétaient son bonheur.

Elle ne savait pas du tout que sa bien-aimée Gaza était une prison à ciel ouvert, isolée et confinée depuis plus de dix ans. Au-delà des hauts murs qui marquaient ses frontières existait un monde invisible et inconnu d’elle – un monde interdit qu’elle ne pourrait jamais découvrir.

En semaine, elle portait fièrement son sac d’école rose et marchait avec ses frères et sœurs dans les rues étroites de Khan Yunis. Elle aimait aller à l’école et rêvait de devenir institutrice. Elle restait des heures devant le tableau noir en dessinant de grandes lettres de l’alphabet, des fleurs et des cœurs esquissées avec soin dans ses tons favoris de rose pastel et de bleu.
Sur le chemin du retour, elle s’arrêtait souvent chez son marchand de bonbons préféré. Elle était fascinée par l’étalage de friandises multicolores, mais elle revenait toujours vers les rouleaux de bonbons aux tons pastel. Ils lui rappelaient ses rêves, ses rêves couleurs pastel. Avec la pièce d’un shekel que son papa lui avait donnée ce matin-là, elle voulut acheter deux rouleaux de bonbons, alors qu’elle ne pouvait en acheter qu’un seul.
Tout en admirant ses magnifiques tresses et les barrettes roses et bleues qui ornaient ses boucles, le propriétaire de la boutique lui offrit deux rouleaux de bonbons. Le premier qu’elle pourrait savourer ce jour-là et l’autre, dit-il, elle pourrait le garder pour le jour où elle aurait faim et qu’il n’y aurait plus rien à manger. La petite fille le regarda, surprise, mais trop contente de serrer deux rouleaux de bonbons dans ses petites mains.

Elle rentra bien vite chez elle en dansant de bonheur. Impatiente de montrer le cadeau du magasin de bonbons à son baba. Elle défit lentement l’emballage, savourant chaque bonbon rose vert et bleu, admirant leurs couleurs avant de les goûter. Cette nuit-là elle s’endormit en rêvant d’un magnifique ciel bleu et d’un arc-en-ciel aux couleurs pastel et rempli de papillons. Mais quand vint le matin elle fut réveillée par de lourds bruits de tonnerre qui remplissaient l’air. Elle courut vers son baba pour aller se réconforter dans ses bras. Son père la rassura et lui promit que tout allait bien se passer. 
Le bruit des sons lourds se prolongea pendant des jours et les couleurs vives du monde extérieur furent peu à peu remplacées par une palette de gris. Disparu le ciel bleu de Gaza, remplacé par une atmosphère morne et sombre. Les fenêtres de leur petite maison étaient brisées et elle ne pouvait plus voir les belles couleurs du monde extérieur.

Vendredi à nouveau ; elle pouvait entendre l’appel à la prière de midi. Elle courut vers son baba et le supplia de l’emmener à la mer encore une fois. Sa maman lui avait donné un peu de pain et deux olives mais elle avait encore faim. Son baba lui dit : “Tu te souviens de ton rouleau de bonbons ? Va le chercher. On pourrait peut-être aller à la mer cet après-midi si tous ces gros bruits veulent bien s’arrêter ?” Son baba savait bien que les bruits n’allaient pas s’arrêter. Il savait qu’il ne pourrait plus emmener sa petite fille à la mer de Gaza.
La petite fille revint en courant vers son père, le rouleau de bonbons encore intact dans sa main. Son baba la regarda : “Mange les bonbons maintenant, avant d’aller à la mer !” Mais la petite fille refusa. Elle voulait ouvrir l’emballage quand ils seraient arrivés à la mer de Gaza. Son père acquiesça et promit de l’emmener bientôt. Ainsi, elle serra bien fort le rouleau de bonbons et se blottit dans les bras de son père. Pendant un court instant, tout devint calme.

Elle finit par s’endormir, serrant toujours dans sa main le rouleau de bonbons et rêvant du jour où ils retourneraient à la mer.

Traduit de l’article
https://certioraris.com/2023/12/23/in-memory-of-the-girl-with-the-candy-roll-in-her-hand/

https://certioraris.com/

A Single Spark

These days of wild uncertain times I ask the empty skies
Who will keep things rolling, who to sing Hosannas to?
The temple calls but I can’t see what use my prayers will be
And will this world keep rolling with only good intentions
?

Une Seule Étincelle

En ces jours fous et incertains, je m’adresse au ciel vide
Qui continuera à faire tourner le monde, pour qui chanter nos Hosannas ?
Le temple appelle, mais mes prières ne sont d’aucune utilité
Est-ce que ce monde continuera à tourner juste avec de bonnes intentions ?

David Gilmour, A Single Spark, Luck and Strange, 2024

On a jamais vu le ciel tomber

Ils arrivent. Leurs bannières. Leurs idées en bandoulière.
Le ressac de la mer. Une vague régulière qu’un rocher repousse et qui revient avec l’obstination des saisons. 

Ils arrivent, accrochés à leur nation, leur religion, la couleur de leur peau. Par milliers, par millions, en rangs, au pas, hypnotisés par le bruit de leur bottes sur le pavé. Sabres au clair  et prêts à en découdre avec l’hérétique, le non-croyant, le pas bien-pensant.
L’étranger. 

Ils arrivent, indifférents à la douleur et au sang. Indifférents à la fragilité de ce monde qui s’écroule sous leurs pieds. Indifférents à tout sauf à l’épaisseur de leur ventre et de leur porte-monnaie. Se gaver. Se gaver une dernière fois, prendre tout ce qui reste, piller, voler, violer. Ensuite le monde peut bien s’écrouler. D’ailleurs, ils n’y croient pas, à cette fin. Ils croient aux miracles, à leur supériorité, à la loi du libre marché. 

Dieu ou l’histoire sont toujours de leur côté.
Et avec eux, l’envoyé.
Petit, malingre, ou alors très gros, il n’y a pas de portrait-robot. Un homme hurleur, capable de transformer la peur en haine et l’appât du gain en envie de tuer. Un homme menteur, prêt à n’importe quel arrangement avec la vérité. Un enjôleur aussi qui torture avec le sourire en embrassant la joue des petits enfants.

Ils arrivent, lui devant et eux derrière. Comme toujours, ils sont sûrs de l’emporter. Leur seule peur, la seule chose qui pourrait les arrêter serait que le ciel leur tombe sur la tête mais ils n’ont jamais vu le ciel tomber.

Couteau

Je n’ai jamais rien lu de Salman Rushdie. Pas la moindre ligne. On mesure ici toute l’étendue de mon inculture.  J’ai simplement été attiré par la couverture du livre, Knife, mot coupé en deux par une entaille verticale, un trompe-l’œil magnifique, saisissant résumé de l’histoire d’un homme poignardé sur la scène d’un auditorium bondé.

Au-delà de l’abyssale absurdité du geste, on reste tout à fait interdit par le mobile du crime. Comme moi, l’agresseur n’a jamais lu Rushdie, juste deux pages des Versets Sataniques, et quand on lui demande ce qu’il connait de l’auteur, il répond que ce sont principalement des extraits de conférences vus sur Youtube. Il y a vu un homme malhonnête, qui attaque l’islam et qu’il n’aime pas, lui qui respecte l’ayatollah.

Voilà.

Ensuite, un tweet lui a appris que Rushdie allait faire une apparition publique à Chautauqua, État de New York. Il a noté la date, pris sa voiture, un sac rempli de couteaux, on se demande bien pourquoi, sans doute une question de qualité de lame, et s’en est allé poignarder un vieux monsieur de 75 ans venu parler de la nécesité de protéger les auteurs en danger.

« Je n’aime pas la personne. Je ne pense pas qu’il soit une très bonne personne. » 15 coups de couteau.
Pour ça.

Hachis de cimetière

Le ciel noir s’illumine
Au clair des fragments d’un missile
Explosé par un anti-missile.
Feux d’artifices mortels
Sur nos écrans virtuels,
Mais dans le cœur éventré des villes
On meurt à balles bien réelles
Pendant qu’un déluge métal brûlant
Délaye le crâne des pauvres gens
Qui croient bien sûr en un seul Dieu.
N’importe quel Dieu vous dira
Qu’il n’en peut foutre rien,
Victime collatérale
Du marketing des marchands d’armes
Qui font tourner leurs usines
Au déplacement des frontières,
À la couleur des paupières
Ou de la religion.
Tout ce qui fait tourner leur moulin à pognon.

Drôle de métier, non ?
Vendeur de mort.
Dessinateur de destruction,
Ingénieur de désolation.
Mais de quoi parle-t-on
Au salon des marchands d’armes ?
De la dernière version
De l’obus à défragmentation.
Du rabais de quantité
Sur les mines antipersonnelles,
10 pour cent de réduction
A partir de 300 amputés.
On compare les mérites
De l’obus électronique
Ou de l’explosif filoguidé.
Et surtout de la crise qui guette,
De la paix qui menace
La bonne marche des affaires
Et pourrait réduire l’épaisseur
Des enveloppes de fin d’année.
Alors, on lève les yeux, on espère
Que d’un côté d’une frontière,
Quelques bons vieux militaires
Veuillent bien trouver une bonne raison
D’inventer une nouvelle guerre
Pour relancer les affaires,
Recrépir les cimetières
D’une couche fraîche de hachis de chair.

Le retour de la mèche

Sinueusement, l’hydre resserre ses anneaux.
Elle a la force et tout le temps. Sur chacun de ses fronts, une croix crantée qu’on avait cru enterrée à jamais au plus profond des cachots de l’histoire. Mais quand bien même on en couperait cent, il restera toujours une tête au sommet du serpent. Une mèche lissée sur le côté. Une moustache. Et une chemise brune pour le défilé. Au pas, s’il vous plait. Au pas, pour la liberté. Tous ensemble et bien alignés. Je ne veux voir qu’un seul homme. Rien qui dépasse. Tous la même couleur. La même odeur. La même langue et les mêmes mots.
Et tous les mêmes idées dans le cerveau.

Liberté de penser comme moi.
Liberté de parler comme moi.
Liberté d’agir comme moi.
Liberté d’exister comme moi.

Je suis votre liberté.
Suivez-moi !
Lentement, ils se mettent en marche, en bon ordre. Dix. Vingt. Cent. Mille. Cent mille. Des millions. Sur la même ligne et en même temps. Sur l’estrade, au-dessus des bannières, la mêche a une autre couleur, un autre format, en bataille, relevée, hérissée ou rasée sur les côtés. C’est fou, l’importance du poil chez les dictateurs. Le cheveu, élément majeur de l’identité visuelle, au même titre que l’uniforme, le drapeau et le fouetté de la main.
On les voit venir de loin, de toujours, leurs certitudes en bandoulière et les armes au poing. Un jour, pas si lointain, ils brûleront nos livres, raseront tous les crânes et les idées qui dépassent.

Un jour, on n’y peut rien, et pour certains d’entre eux, aujourd’hui, c’est déjà demain.

Les enfants qui s’enfuient

Les autorités israéliennes ont diffusé une compilation d’images montrant les massacres commis le 7 octobre 2023 dans les localités israéliennes aux abords de Gaza. Cette vidéo a été projetée au moins cinq fois à destination du contingent de 2 050 journalistes étrangers qui a été accrédité par Israël depuis le début du conflit.
Pour chaque séquence, nous (journalistes de libération.fr) avons spécifié l’origine des images – caméra « piéton» (bodycam), caméra de surveillance (CCTV), caméras embarquées à bord de voitures (dashcam) – et le lieu où elles ont été tournées quand cela était mentionné.

4e séquence : environ 5 minutes

CCTV à Netiv HaAsara : Intérieur d’une maison, dans une cuisine. Un père et ses deux jeunes garçons, tous en caleçons, tentent de fuir.

CCTV à Netiv HaAsara (sans son) : Extérieur de la maison. L’homme et les deux garçons courent vers ce qui semble être un abri. Quelques secondes plus tard, un homme du Hamas s’approche, lance une grenade. Le corps du père tombe, inerte. Un autre homme du Hamas arrive. Les deux enfants sortent, visiblement blessés.

CCTV à Netiv HaAsara : Intérieur de la maison, dans une cuisine. Les deux enfants rentrent. Ils pleurent.
[Coupe] Il y a du sang partout. «Papa ! Papa !» crie le plus âgé. Un des hommes du Hamas demande de l’eau en arabe. «Je veux ma maman», lui répond le garçon. L’homme du Hamas ouvre le frigo, boit du soda au goulot.
[Coupe] «On va mourir», dit le plus âgé. Quelques secondes plus tard il est sur les genoux, il dit : «Pourquoi suis-je vivant ?» Le plus jeune, blessé dans l’attaque, est aveugle d’un œil. Le plus âgé nettoie ses épaules maculées de sang avec une gourde.

CCTV à Netiv HaAsara (sans son) : Extérieur de la maison. Les deux enfants s’enfuient.

CCTV à Netiv HaAsara (sans son) : Extérieur de la maison. La mère arrive avec deux gardes de sécurité du kibboutz. Elle découvre son mari, s’effondre. Les deux gardes l’emmènent.

https://www.liberation.fr/checknews/crimes-du-hamas-quy-a-t-il-dans-la-video-de-48-minutes-dhorreur-que-montre-tsahal-a-la-presse-etrangere-20231102_MD2JVN3AH5C6JKE5T7TGXYS5DE/

La petite fille au rouleau de bonbons

Dans la banlieue animée de Kahn Yunis, lovée au cœur de Gaza, naquit une petite fille. Elle grandit entourée de l’amour de son père (son baba) des soins de sa mère et de ses frères et sœurs – son univers, résumé à la simplicité de leur modeste logement. Chaque semaine, après la prière du vendredi, ils marchaient en famille vers la mer de Gaza, chaque pas un rituel précieux. Leur foi et leur amour réciproque résonnant à chaque écho de l’appel à la prière.

La jeune fille avait un lien fort et affectueux avec son baba. Par jeu, elle s’amusait souvent à faire semblant de se noyer pour l’attirer dans l’eau et la sauver en faisant appel à son désir instinctif de la protéger. Ensuite ses petites mains serraient bien fort les solides bras de son baba pendant qu’il la soulevait très haut dans le bleu infini du ciel de Gaza. Elle adorait le contact des grains de sable sous ses pieds et le pétillement frais de la mer sur sa peau alors qu’elle dansait et que les ondulations de l’eau reflétaient son bonheur.

Elle ne savait pas du tout que sa bien-aimée Gaza était une prison à ciel ouvert, isolée et confinée depuis plus de dix ans. Au-delà des hauts murs qui marquaient ses frontières existait un monde invisible et inconnu d’elle – un monde interdit qu’elle ne pourrait jamais découvrir.

En semaine, elle portait fièrement son sac d’école rose et marchait avec ses frères et sœurs dans les rues étroites de Khan Yunis. Elle aimait aller à l’école et rêvait de devenir institutrice. Elle restait des heures devant le tableau noir en dessinant de grandes lettres de l’alphabet, des fleurs et des cœurs esquissées avec soin dans ses tons favoris de rose pastel et de bleu.
Sur le chemin du retour, elle s’arrêtait souvent chez son marchand de bonbons préféré. Elle était fascinée par l’étalage de friandises multicolores, mais elle revenait toujours vers les rouleaux de bonbons aux tons pastel. Ils lui rappelaient ses rêves, ses rêves couleurs pastel. Avec la pièce d’un shekel que son papa lui avait donnée ce matin-là, elle voulut acheter deux rouleaux de bonbons, alors qu’elle ne pouvait en acheter qu’un seul.
Tout en admirant ses magnifiques tresses et les barrettes roses et bleues qui ornaient ses boucles, le propriétaire de la boutique lui offrit deux rouleaux de bonbons. Le premier qu’elle pourrait savourer ce jour-là et l’autre, dit-il, elle pourrait le garder pour le jour où elle aurait faim et qu’il n’y aurait plus rien à manger. La petite fille le regarda, surprise, mais trop contente de serrer deux rouleaux de bonbons dans ses petites mains.

Elle rentra bien vite chez elle en dansant de bonheur. Impatiente de montrer le cadeau du magasin de bonbons à son baba. Elle défit lentement l’emballage, savourant chaque bonbon rose vert et bleu, admirant leurs couleurs avant de les goûter. Cette nuit-là elle s’endormit en rêvant d’un magnifique ciel bleu et d’un arc-en-ciel aux couleurs pastel et rempli de papillons. Mais quand vint le matin elle fut réveillée par de lourds bruits de tonnerre qui remplissaient l’air. Elle courut vers son baba pour aller se réconforter dans ses bras. Son père la rassura et lui promit que tout allait bien se passer. 
Le bruit des sons lourds se prolongea pendant des jours et les couleurs vives du monde extérieur furent peu à peu remplacées par une palette de gris. Disparu le ciel bleu de Gaza, remplacé par une atmosphère morne et sombre. Les fenêtres de leur petite maison étaient brisées et elle ne pouvait plus voir les belles couleurs du monde extérieur.

Vendredi à nouveau ; elle pouvait entendre l’appel à la prière de midi. Elle courut vers son baba et le supplia de l’emmener à la mer encore une fois. Sa maman lui avait donné un peu de pain et deux olives mais elle avait encore faim. Son baba lui dit : “Tu te souviens de ton rouleau de bonbons ? Va le chercher. On pourrait peut-être aller à la mer cet après-midi si tous ces gros bruits veulent bien s’arrêter ?” Son baba savait bien que les bruits n’allaient pas s’arrêter. Il savait qu’il ne pourrait plus emmener sa petite fille à la mer de Gaza.
La petite fille revint en courant vers son père, le rouleau de bonbons encore intact dans sa main. Son baba la regarda : “Mange les bonbons maintenant, avant d’aller à la mer ?” Mais la petite fille refusa. Elle voulait ouvrir l’emballage quand ils seraient arrivés à la mer de Gaza. Son père acquiesça et promit de l’emmener bientôt. Ainsi, elle serra bien fort le rouleau de bonbons et se blottit dans les bras de son père. Pendant un court instant, tout devint calme.

Elle finit par s’endormir, serrant toujours dans sa main le rouleau de bonbons et rêvant du jour où ils retourneraient à la mer.

En mémoire de la fille palestinienne morte avec un rouleau de bonbons dans sa main, tuée par un raid israélien, le 20 décembre 2023 à Khan Younis.
Traduit de l’article
https://certioraris.com/2023/12/23/in-memory-of-the-girl-with-the-candy-roll-in-her-hand/

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Autre Père

Si tous les gens qui n’ont rien à dire se taisaient tous ensemble, imaginez un peu le silence.
Si tous ces gens fermaient leur bouche une bonne fois pour toutes, ça nettoierait à grande eau le globe spongieux qui clapote entre nos deux oreilles. On serait lavé des hypothèses foireuses, des conjectures creuses, du vomi des prophètes en simili, aux visages plus maquillés que des Solex tunés.

On aurait tant besoin de faire le vide. De se recueillir. De s’incliner sans un mot devant cet amoncellement de cadavres. On aurait tant besoin de temps. Le temps de remplir les fosses communes et de les recouvrir d’une terre provisoire. Le temps d’un geste ou d’une prière, pourquoi pas une prière, qui ne serait pas Notre Père mais grand-papa, mamie, ma mère.

Dehors, les rues sont vides et le ciel aussi. Un moteur lointain tourne au ralenti. Une cloche sonne midi.
Le moteur se tait.
Aucun éclat de voix, juste un bruit de pas qui s’approche, s’éloigne et disparaît.
Surpris, on écoute alors monter le son du silence.

Pendant ce temps, les gens qui n’ont rien à dire continuent de parler pour remplir le vide qu’ils ne cessent de creuser.