Rembrandt et la mouette

Gaston Lagaffe se reposait enfin. À l’aise dans son Franquin. 19 albums cartonnés, c’est beaucoup pour un type fatigué. 
Gaston avait tout donné, tout. Inventé des trucs pas fous. Des téléphones-douches, une tondeuse téléguidée ou un radiateur d’où sort un jet de café. En tenue de fusée, il n’avait pas pu danser au bal masqué. Et surtout, pendant toutes ces années, il avait cherché le coussin, le hamac, l’endroit majuscule où perfectionner l’art de la sieste sans être dérangé.  

RÔÔÔ
FZZZ
RÔÔÔZ
PFFFFF
Z

Et tout autour des onomatopées, des livres étayés par des balais en un vague tunnel construit par la main de Franquin.
La main prodigieuse qui dessine ce qu’on ne peut pas dessiner, le mouvement, la fatigue, la colère, l’amusement, l’émerveillement, l’explosion d’un moteur à deux temps. Une mouette. Rieuse. Hargneuse. Un chef d’oeuvre de trait et de concision comme une esquisse de Michel-Ange ou un autoportrait de Rembrandt.

Rembrandt est mort, lui aussi. Mais aucune autre main ne le remplacera devant le miroir pour dessiner la tristesse, la fatigue, tracer les lignes de l’âge et les contours des ombres où disparaissent les vallées que le temps a creusées.

Le fil qui danse

 

Un silex effilé,
Une pyramide,
L’empreinte colorée de deux mains déployées,
L’arc manquant d’un aqueduc,
Une ballerine,
Les fleurs du mal,

Et Rembrandt sous son bonnet de nuit.

Toutes les traces éparses qui tracent un chemin compliqué dans la poussière du temps, s’arrêtent  juste sous nos pieds, traversent le dur de nos semelles, la plante de nos pieds, remontent le long des artères qui parcourent nos cœurs, nos têtes, nos mains et les transforment en gestes lumineux qui éclairent une fraction de seconde les derniers recoins sombres de la grotte où nous grelottons, apeurés et perdus, dans l’attente d’un petit moment de grâce absolue.

Les arabesques et les pas chassés. La feuille blanche. Le bruit du clavier. La mer qu’on fait danser. La couleur. Une mouche de crème fraîche sur une framboise carmin. Une goutte de parfum. Un profil d’escarpin. Le vent pris dans la course d’une robe en été.

Toute la grâce contenue dans nos âmes suspendues à la beauté du monde par un fil si fragile qu’il ne cesse de se casser.