Paul reposa le livre sur le ventre, appuya bien fort sur le dos pour qu’il ne fasse pas mine de se redresser. Le refermer ou pas ? Rien de vraiment exceptionnel jusque-là. Et ce dernier dialogue, vraiment… Certains écrivains devraient quand même prendre le temps d’aller vivre en réalité.
Une réception.
Deux hommes se rencontrent pour la première fois. Quelques secondes plus tard, le premier au prénom bizarre a deviné que le deuxième est un marathonien. Comment ? On ne sait pas. Un voyant, sans doute, extra-lucide au point d’indiquer avec précision le temps de passage de son vis-à-vis au kilomètre quarante-deux plus quelques décamètres. Ensuite, ces inconnus conviennent d’un rendez-vous fixé au lendemain pour évaluer leur capacité à courir vite et longtemps. Et après ? Ils se marient et ont beaucoup d’enfants ? Pas possible : on n’a jamais vu deux mâles, même très bien montés, mettre un bébé sur orbite. Pourtant, à la fin du chapitre suivant l’auteur révèlera la véritable identité de Daan qui, pour les intimes et l’état-civil, répond au très onctueux prénom de Daanette.
Paul hésite. Il ne sait pas. Lecteur intense et appliqué, il espère toujours que la suite sera à la hauteur, qu’il découvrira peu à peu la face cachée des personnages pendant que l’intrigue se complique, se ramifie, l’entraîne vers des endroits encore inconnus de lui. Voyager, surfer la surface des pages, glisser sans trop de hâte vers ce territoire blanc et suspendu, tout au fond, à droite. L’atteindre enfin pour se précipiter de l’autre côté, découvrir un nouveau versant de l’histoire. Vivre un million de vies, pleurer ou rire. Avoir peur. Avoir mal aussi.
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Il ne me donna pas le temps d’une réponse.
_ Laissez-moi deviner. Coureur, n’est-ce pas. Longue distance. Marathonien peut-être ?
Je hochai vigoureusement la tête, plusieurs fois, de haut en bas. D’un seul coup, son visage s’illumina, le masque plastique fit place à de la peau, les yeux s’éclairèrent et le trait rectiligne qui séparait ses lèvres s’arrondit en un large sourire. J’eus un mouvement de recul. On n’a pas souvent l’occasion de voir une statue de cire se transformer en un être vivant.
_ Donc marathonien. Je vous vois aux environs de quatre heures. Toujours juste au-dessus.
_ À Berlin, j’ai fait 4:08.
_ Berlin, je suis impressionné. Londres aussi ?
_ J’ai fait Londres et New-York, une fois.
_ Je peux vous faire franchir la barre des quatre heures. On dira demain soir, à l’horloge fleurie, disons 18 heures. 20 kilomètres pour voir votre foulée, votre appui, la poussée et la tenue du bassin. Ensuite on commence la préparation.
_ C’est que demain soir…
_ Oui, demain soir ?
_ Rien. Demain, 18 heures. Je peux avoir votre numéro de portable, au cas où.
_ Soyez à l’heure et soyez prêt. Il n’y aura pas d’échauffement.
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Il y eut un éclat de rire général.
Au-dessus de nos têtes, tendues sur un fil précaire, des ampoules multicolores se balançaient doucement et creusaient des ombres mouvantes sur le visage effilé de Daan qui se tut, satisfait de son effet. Une fois de plus, j’eus le plus grand mal à plaquer l’image de cette silhouette gracile sur un profil d’aventurier. Et ses mains, si fines, si blanches, si soignées, comment les imaginer serrées sur la crosse d’un pistolet de métal lourd, dur et froid. À cinquante-quatre ans, il semblait à peine sorti de l’adolescence, flottant dans ses habits, t-shirts trop larges et jeans trop longs, recouvrant une paire de baskets toujours en fin de vie. Le clochard céleste de Kerouac mais aussi le chat du Cheshire, une fausse trace de sourire plaquée sur son visage, insondable et toujours flottant.
On ne remarquait jamais vraiment Daan Huysmans.
Taille et corpulence moyennes, yeux moyens, cheveux foncés mais sans excès. Encore jeune, peut-être, mais sûrement pas très vieux, il avait fait de la banalité son arme, sa couverture de survie, son ultime issue de secours au cas où les choses devaient mal tourner. On ne remarquait jamais Daan, sauf au moment de vouloir trop s’approcher de lui, comme ça, sans raison, juste pour faire connaissance, lui dire bonjour, échanger des prénoms. C’était si prévisible et si drôle à voir. Entre nous, c’était devenu un jeu et il n’ignorait pas que nous l’observions. J’en avais fait personnellement l’expérience, un soir de cocktails, de petits fours et de rosettes pourpres bien propres sur elles. Au fond de la salle, je vis un groupe d’amis. Je leur fis signe et m’approchai en remarquant à peine un homme que je ne connaissais pas l’extrémité du cercle. Je saluai chacun et tendis ensuite la main vers l’inconnu. Mon geste se figea à mi-chemin, empêché par le contact de ses yeux soudain vissés au fond des miens. Difficile d’expliquer ce qui se produisit alors. La meilleure analogie que je puisse trouver est celle du portique qu’on franchit dans les aéroports et qui détecte la présence d’objets métalliques. J’eus la même sensation, ma main immobilisée entre son ventre et le mien, en attente des résultats de mon analyse, à savoir si cette main ne présentait aucun danger pour sa main. Je me souviens très bien de ce moment, de l’attente, de ses yeux qui se figent, me radiographient froidement. Quelques secondes à peine. Ensuite sa voix, atone.
_ Enchanté, je suis Daan Huysmans, chargé de mission à l’ambassade de Hollande et vous ?
Moi j’avais pratiquement fait dans mon froc.
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Côté droit. Côté gauche, Le coude replié sous le ventre. La main sous le traversin. La nuque droite ou de travers. Trop chaud. Trop froid. Dormir. 04:37. Paul but la dernière gorgée de thé vaguement tiède. Ouvrit la fenêtre. Personne dans la rue. Une faible rumeur automobile. Le halo brouillé des lampadaires dupliqué sur les pavés du sol mouillé. Foutu pour foutu, à quoi bon d’aller se recoucher ? Voyons plutôt ce que racontait le Très-Haut Abbé.
_ Très Saint Père, je n’ai jamais rencontré Dieu.
_ Moi non plus, mon fils.
_ Donc, savoir s’il préfère le twist au cha-cha-cha, vous savez…
_ Pardonnez-moi, je me suis égaré.
_ Alors voilà. Si vous pouviez m’expliquer en deux mots la raison de ma présence ici, je crois que ça pourrait m’aider.
_ J’allais y venir. La danse n’est qu’une des nombreuses raisons qui nous amènent à penser qu’Hildegard s’est peu à peu émancipée de la règle de Saint Benoit pour s’aventurer dans la voie du schisme, en créant un ordre basé sur des pratiques new-age que nous ne pouvons que réprouver.
_ Excellence, permettez que je vous interrompe.
_ Mais certainement. Sachez que nous conversons.
_ Vous avez parlé d’un monastère fondé en…
_ 1147.
_ C’est ça. Et cette sœur…
_ Hildegard de Bingen,
_ Vous parlez d’elle au présent.
_ Effectivement. Et nous voudrions vous engager pour savoir si Hildegard, née en 1098, fêtera cette année son neuf-cent-vingt-septième anniversaire.
_ Ça va faire beaucoup de bougies sur le gâteau.
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À-demi conscient, Paul passa une main précautionneuse sur son front dégarni. Une bosse conséquente était en cours de formation, côté gauche, à l’endroit où sa tête avait heurté le sol. On aurait pu penser que l’épaisseur de tapis tendu sur le plancher aurait absorbé le choc, mais il était simplement tombé de son lit de tout son long, d’un seul bloc, inerte et mou, la tête la première et tout le reste derrière. Maudit bouquin et maudite Hildegard. Manquait plus qu’une bonne sœur pour venir hanter ses rares heures de sommeil.
Trois heures et des poussières du matin. 03:12, chiffres rouges écrits en caractère digitaux, ondulants, flous. Flottant, le lit, et feutrée, la batte de la grosse caisse, son choc régulier contre la face nord de son crâne. Se recoucher, dormir, il ne fallait plus y penser. Paul se releva avec difficulté. Fit de la lumière. Se dirigea vers la cuisine. Mit de l’eau à chauffer. Y plongea un sachet de thé. Laissa infuser. Attendit un peu. Approcha prudemment sa bouche vers le bord de la tasse. Se brûla les lèvres. Jura. Merde. Fait chier. De retour dans sa chambre, se pencha sur le livre échoué sur le sol, le reposa sur sa table de chevet, ouvert, à plat ventre, à la page où son Éminence questionnait l’amour de Dieu pour la danse.
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Au contact de la moquette sale, le dos du livre produisit un son étouffé avant de se coucher dans un soupir. Endormi, Paul se mit à rêver d’une barque au moteur poussif remontant le cours du Rhin. Une cheminée rouillée crachait des nuages de fumée noire. Debout à la barre, un capitaine dodu hurlait à qui voulait l’entendre qu’il fallait virer à tribord. Du linge blanc séchait sur un étendage. Le bateau était amarré au pied d’une falaise. Au-dessus, immense, noir et luisant, un monolithe strié de fissures aux craquements menaçants. La roche était humide et grasse. Il s’y agrippait de toutes ses forces, cherchant dans le noir une prise, une aspérité, une saillie assez grande pour accueillir ses pieds. Il leva les yeux. Il y était presque, presque. Sa main gauche s’élança vers ce qu’il prit pour une main secourable mais ses doigts se refermèrent sur rien. Son bras retomba, suivi par ses jambes, son tronc, et le reste de son corps qui plongea dans le vide.
Il eut juste le temps de se retourner.
Le visage pris dans un voile translucide, Soeur Hildegard le regardait tomber.
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_ Vous ne croyez pas aux visions, votre Excellence ?
_ Je devrais, n’est-ce pas ? Les visions, les miracles, ce sont là les bases de la foi mais je dois concéder une certaine réserve par rapport au merveilleux. Voyez-vous, j’ai toujours en tête ces illustrations qui ornent les bibles destinées aux enfants. On y voit de magnifiques rais de lumière qui percent les nuages lorsque Dieu souffle dessus. Ses joues gonflées et ses cheveux de vent. La pomme et le serpent. La croix, la couronne d’épines, les clous. La lance qu’on enfonce dans le flanc. La pierre enlevée et le tombeau vide. À force, ces images se sont inscrites dans les couches les plus profondes de notre imaginaire aussi bien que celle d’un Jésus blond et musclé, ou de sa mère toujours vêtue de bleu et de blanc. Description qui correspond exactement à celle qu’en fait Bernadette Soubirous lorsque la vierge lui apparaît dans la grotte de Massabielle. Est-il possible que ces visions ne soient qu’un prolongement de toutes les représentations forgées par les artistes au cours des siècles ? Je n’en sais rien. En ce qui concerne la bienheureuse Hildegard, il semble tout de même curieux que le Très-Haut lui soit apparu pour imposer la danse dans le curriculum bénédictin.
Dieu aimerait-il la danse à ce point ?
Page Cinquante-Neuf (5)
Paul se leva, marcha vers la cuisine sans lâcher le livre, l’index glissé entre les deux pages qui marquaient le début du soit-disant chapitre trois. De sa main libre, il versa de l’eau dans la bouilloire, appuya sur l’interrupteur, versa le contenu d’un sachet de café en poudre, lait compris, dans une tasse aux bords usés. On voulait jouer alors d’accord, on allait jouer.
Retour page cinquante-neuf. Un bateau. Bon déjà vu, mais bien sûr pas le même bateau. La mer toujours, mais une autre mer. Et un bled au nom imprononçable. Sinon, bonne nouvelle, plus aucune trace de napalm.
Au contact de l’eau bouillante, la poudre frémit, plongea, colora le mélange d’un beau brun chimique et fit paraître à la surface une couche de mousse si compacte qu’on aurait dit du fromage frais. De retour au lit, Paul s’en tartina la lèvre supérieure et s’essuya du revers de la main. Il libéra enfin son doigt marque-page et reprit le cours de son histoire. Page cinquante-neuf. Monsignore est toujours là.
_ Mais je m’égare, pardonnez-moi. Nous ne vous avons pas fait venir ici pour écouter un exposé sur le déclin de l’église catholique. Seulement, je ne sais pas, je vois chez vous une véritable qualité d’écoute, chose très rare de nos jours. Une question de temps. Les gens n’ont plus le temps. Ils sont pris par le temps, dans le temps, dans leur temps. Ils font toujours quelque chose. Ils vont toujours quelque part. Ils ont des projets. Des maisons. Des automobiles. Des ordinateurs et des téléphones qui sont à la fois leurs parents, leurs amis, leurs confidents. Leurs vies en somme, leurs vies en photographies, en dates, en rendez-vous et en relevés bancaires. Le monde qui tient dans le creux de leurs mains. Le monde en continu. Le monde en temps réel.
_ Je n’ai pas de téléphone portable.
_ Je bénis une fois de plus la personne qui nous a mis en relation. Vous êtes vraiment l’homme de la situation.
_ Et quelle est la situation ?
_ Délicate. Très délicate. Nous avons reçu des nouvelles inquiétantes en provenance d’Allemagne. De Rupertsberg pour être tout à fait précis, une bourgade située au bord du Rhin pas très loin de Wiesbaden. Il y a là un monastère bénédictin fondé en 1147 par Hildegard von Bingen qui fonctionne sur le modèle de la règle de Saint Benoit : « Ora et Labora ». À l’époque, la Magistra avait déjà fait montre d’une approche très personnelle du travail et de la prière. Elle y avait ajouté le chant lyrique, la danse, la linguistique et même l’étude de l’homéopathie. À ceux qui s’interrogeaient sur la conformité de ces nouvelles pratiques, elle opposait un seul argument : Dieu ! Dieu avec qui elle avait établi une ligne directe par le biais de visions.
Je parlerais plutôt d’hallucinations.
Page Cinquante-Neuf (4)
Amarrée au bout du port, La Belle Buissonnière nous tenait dans le creux de sa main. Le crépuscule tombait sur le delta du Rhin. Derrière nous ‘s-Gravenzande s’éclairait lentement. Aucune hâte, rien qui puisse troubler l’inéluctable coulée de la nuit sur ce delta immense où le grand fleuve épuisé venait s’échouer dans la mer. Dans nos verres bleuis, on ne distinguait plus le plein du vide; seul leur poids indiquait leur état à nos mains. Je bus une gorgée de bourbon poussiéreux et me calai un peu plus profondément dans mon transat. Nous attendions sans rien dire. La première phrase. Le début de l’histoire.
Nous savions bien qu’il allait commencer.
La nuit était presque tombée et la vibration d’une voix de basse agita les fines particules de la première brume de septembre.
_ Nous sommes partis d’ici.
Nous étions trois, le radio, le cuisinier et moi. Avec suffisamment de vivres et de carburant pour naviguer sans escale pendant deux mois. Le soir du départ, ils m’avaient posé mille questions. Pourquoi autant de réserves ? N’aurait-il pas été plus simple de s’approvisionner en chemin ? De plus, ce navire était bien trop grand. On aurait pu prendre des passagers. Les faire payer, cher, les cabines étaient magnifiques. Et d’abord, où allions-nous ? Je ne répondais pas. Je recommandais deux douzaines d’huitres, leur proposais des cigares, du champagne et de la vodka. Je leur disais que le voyage serait tranquille, du canotage à contre-courant, rien d’extraordinaire, une jolie promenade qui rapporterait beaucoup d’argent.
C’est ce que m’avait promis Monseigneur Ignazio Migliore, le nonce apostolique représentant le Vatican auprès de l’Office des Nations. Nous nous étions rencontrés au siège de la représentation, à Genève, une belle maison domaniale entourée d’un grand parc. Son Excellence m’avait reçu dans le salon d’apparat, m’avait parlé de résurrection devant un immense Christ en croix que Calvin aurait aussitôt décroché, eût-il encore été parmi nous. Mais le temps de la réforme n’avait été qu’un temps et comme mon hôte l’avait souligné en souriant, cette ville comptait aujourd’hui plus de catholiques que de protestants.
Il ôta ses lunettes et me regarda attentivement.
_ Voyez-vous Monsieur Huysmans, tout ceci n’a plus beaucoup d’importance. Nous sommes les vestiges d’une idée qui se meurt. La religion, notre religion ne parle plus au cœur des gens. Nostra culpa, nostra maxima culpa. Nous avons voulu nous rapprocher du monde, suivre ses évolutions, coller à ses modes et nous nous sommes oubliés, dilués dans le siècle. Nos prêtres sont descendus de la chaire. Ils ont tombé la soutane et se sont mis à la guitare. Aujourd’hui, ils voudraient se marier, avoir des enfants. Et les femmes, les femmes nous harcèlent. Elles veulent à toute force être nos égales, prêtres, évêques, cardinales et encore plus peut-être. Notez qu’elles le sont déjà chez nos frères protestants, et pourtant les travées de leurs temples sont aussi désertes que celles de nos églises.
Page Cinquante-Neuf (3)
Paul referme le livre, l’attrape par le dos et le secoue frénétiquement dans l’espoir absurde de retrouver la vieille dame sur le pont du bateau. Debussy. La mer. Tout ça. Il se reprend. Il respire. Il examine attentivement la couverture cartonnée, toujours aussi noire. Le titre, toujours écrit en blanc. Au-dessous, la même mention de l’autrice au nom imprononçable.
Le quatrième de couverture n’a pas changé.
Lucie n’a jamais pu accepter le monde en conserve, le soleil artificiel et la pluie à heure fixe. On n’efface pas les souvenirs, les romans d’aventure et les livres de géographie où tous les fleuves finissent par se jeter à la mer. On n’efface pas les bancs de brouillard, les soirs d’orage et les après-midi d’été.
Rien ne s’efface.
À quarante-deux ans, Lucie en a assez.
Cinq ans après le succès rencontré par «Mater», son premier roman, Malgorzata Viszekorek, nous transporte dans un univers fermé d’où quelques rares individus tentent de s’échapper.
L’histoire de la croisière lui avait donné des raisons d’espérer : le bateau, un dispositif idéal pour un vase clos. Bon, pas vraiment de rapport avec un soleil artificiel ou de la pluie à heure fixe, mais enfin on pouvait deviner l’amorce d’une relation entre le récit et cette courte introduction. Restait évidemment cet incipit bizarre, ce vieil homme qui parlait à son chat. Mais du fond de ses longues nuits de lecture, Paul avait toujours opposé une farouche résistance à l’envie de tourner une page sans l’avoir lue. Il avait ainsi parcouru des kilomètres de descriptions ennuyeuses, de dialogues creux et d’effets spéciaux syntaxiques destinés à transformer un simple paragraphe en un voyage initiatique. Souvent, il s’était endormi. Réveillé quelques instants plus tard, il cornait la page en maudissant par avance le moment où il faudrait reprendre la lecture du texte à l’endroit où ses yeux s’étaient refermés. Cette pensée lui gâchait par avance tout le plaisir de la soirée à venir.
Chapitre trois.
Page cinquante-neuf.
Le napalm n’a rien à faire ici. Qu’on me ramène sur le pont du bateau.