Auto-séance photo

La jeune fille dépose son téléphone portable à la verticale sur le dossier de sa chaise-longue.
Elle recule de quatre ou cinq mètres. Elle avance la jambe gauche, se dresse sur la pointe des pieds, retient d’une main sa longue chevelure et reste figée quelques secondes. Ensuite elle revient sur ses pas, examine la photo sur l’écran.
Elle répète l’exercice.
Encore et encore.
De face. De profil. Le dos à la mer qui doit rester dans le cadre pour le côté balnéaire.
Mais jamais l’image ne semble la satisfaire.

Alors, dans le crépuscule qui s’avance, elle recommence inlassablement. Elle prend la pose, s’évalue, se juge, et finalement, le soir tombé, présente le résultat à sa maman.

Sourire industriel

Sourire du coin de l’œil.
Sourire en montrant les dents.
 Sourire en ayant l’air content, heureux, faraud, malicieux, étonné, renversé, pincé. Sourire interrogateur, interloqué : vous ici ! Quelle surprise ! Si on m’avait dit que vous seriez tous là, au bord du tapis rouge avec toutes ces caméras, ces appareils photographiques, j’aurais passé une autre chemise.

Apprendre à sourire pour faire reluire l’objectif du téléphone portable tenu à bout de bras, il y a certainement des tutoriels pour ça. Des cours en distanciel avec à la clé, des certificats de capacité à étirer ses lèvres de trente-six manières différentes sans jamais bouger les oreilles ou le bout de son nez.

Tous ces faciès traversés par une fente convexe laissent l’observateur perplexe. On voudrait soulever le voile, voir ce qu’il y a dessous, dans l’assiette monogrammée, aspirer la flaque de sauce scintillante pour découvrir le morceau de viande tannée que seule une tronçonneuse pourrait découper.

Botoxed memories

Crowds, crowds, crowds.
Crowds descending into a brightly lit stage. People walking, laughing, chanting.
Ten thousand or more, twenty, forty thousand, shouting, moist and stinking, spoiling the sweet scent of a midsummer evening.

Fast-food booths filling the air with cheap Indian scents. Hamburgers and French fries. Truckloads of beer to swallow it all, rivers of beer, fresh and yellow in frosted plastic cups and then, they have to pee. Queuing for the toilets they check their friends’ statuses in the blue glow of their cellphone screens, take a picture, make a short movie, later they will film the entire gig, not watching it, not even listening to it, the gig doesn’t matter at all, what really matters are the selfies and the clips, their own staging, their own acting, so they smile into the lens at a favorable angle, with the band as a backdrop. Every image shared instantly and sent out to the world.
Life recorded and remastered.
Manicured smiles and botoxed memories.

In the meantime, the band keeps playing.
The crowd keeps filming.