Je me suis approché du haut-parleur, derrière la grille sous le plafond. C’était bien la voix de Neil Young. Jamais entendu la chanson. J’avais la chair de poule et presque les larmes aux yeux. Ce qui sortait du haut-parleur, c’était des pavés de musique lourde, de la batterie brute et une guitare enrouée. Sur ce son carré flottait le fantôme blanc de la voix de Young.
Les mots n’arriveront pas à décrire la texture des notes qui tombaient du plafond. La musique se passe d’explications ou de courroie de transmission. Pas besoin de savoir lire ou écrire, parler l’anglais ou le mandarin, le son passe directement dans le sang.
Comme je me trouvais justement dans un magasin de musique, c’est dingue, je me suis approché d’un vendeur nubile en caressant l’espoir fou que cet adolescent pourrait me renseigner sur la chanson. Ce qui me permettrait d’acheter l’album. De retrouver la mélodie. De la repasser en boucle et bien à fond, tout au fond des oreilles. Le jeune homme était parfaitement au courant. Il s’est dirigé vers un rayon et m’a tendu une galette brillante et prête à enfourner.
Béni sois-tu, vendeur inspiré d’avoir illuminé ma journée. Quand j’y repense, j’ai toujours le même vertige, il me faudrait des tentacules, des antennes, des espions. Des clones qui ratissent le monde une loupe à la main à la recherche du son, du mot ou de l’image qui sauront me percuter le cœur jusqu’au fond des yeux.
Neil Young and Crazy Horse, Prime of Life, Sleeps with Angels, 1994.