OMO dans la chaussette

La serviette immaculée est garnie d’une belle flaque de café noir. La ménagère la noue exactement à l’endroit de la tache avant de la glisser dans le tambour du lave-linge. Referme la porte. Glisse une pincée d’OMO dans le bac prévu à cet effet. Va cuisiner une tarte aux pommes. Revient avec son fils et son homme, qui dénoue la serviette en question. Et là, miracle, la tache a disparu.
Papa et fiston sont stupéfaits. Maman exulte. OMO la propreté jusqu’au cœur des fibres.

En contemplant ma paire de chaussettes fétiches, j’eus tout à coup la vision de ce nœud, de ces couches d’étoffes traversées de part en part par des enzymes presque aussi gloutons que moi. (Ala, la lessive gloutonne qui dévore toutes les taches) Remarquons ici qu’enzyme est un nom féminin et aussi l’impact durable de la répétition de la réclame sur nos cerveaux reptiliens imprégnés à vie par n’importe quelle phrase à la con.

Donc, moi et mon angoissant syndrome de la chaussette orpheline, debout devant la machine à laver, ma paire de chaussettes fétiche à la main et OMO qui sort de sa boîte exactement à ce moment-là.

_ Réfléchis un peu mon garçon. Je traverse le tissu de part en part, quelle que soit la matière. L’épaisseur des couches, je m’en moque, tu vois, alors, réfléchis un peu, mon neveu.

Là, mes cellules grises auraient bien besoin d’une pincée une poudre qui blanchit le blanc. Je vois bien la serviette, la tache, le nœud, mais le rapport avec mes chaussettes m’échappe complètement.

_ Tu serais pas un peu bas de plafond, des fois ? Tes chaussettes, tu les ranges comment ?
_ Ben, j’assemble les extrémités, je les roule d’un mouvement souple et les voilà enchâssées pour les commodités du rangement. Je suis un garçon rangé.
_ Justement, si tu répétais l’opération AVANT de les mettre dans la machine à laver, les deux chaussettes, tu pourrais les récupérer après lavage, toujours enchâssées, comme tu dis.
_ Ah ouais ?
_ Ah ouais.
_ Et tu crois que…
_ Homme de peu de foi. Je te l’ai dit, je traverse sans mollir toutes les couches de tissu pour aller gloutonner la saleté au cœur de la matière.

J’ai essayé. Persil a gloutonné, extrait la moindre trace de saleté de mes chaussettes enlacées. Depuis, elles font toujours la paire dans le grand huit, du prélavage à l’essorage, avant d’aller sécher côte à côte sur les longs fils de l’étendage.
Les nuits sont longues aux sous-sols des immeubles modernes. On est mieux à deux pour veiller dans le noir.

Auteur : Nicolas Esse

Depuis 1962, je regarde les nuages qui passent avant d'aller mourir.

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