Zee Town

Quelque part en Californie, 80 hectares de terrain attendent leur heure.
Un jour, bientôt, les pelleteuses viendront planter leurs crocs dans cette terre friable pour construire une ville bleue barrée d’un petit F blanc : Zee Town, la ville facebook. Juste à côté de Googleville et pas trop loin d’Apple City.

Le 26 mai 1938, Adolf Hitler Hitler se rendait à Wolsfbourg, petite bourgade allemande de 900 habitants. Lui aussi avait un plan pour une ville nouvelle, une ville construite pour fabriquer des automobiles que les Allemands les plus moyens pourraient utiliser pour aller s’éclater en vacances partout en Europe et même plus loin si affinités. Avec son pote Ferdinand Porsche, ils ont déjà dessiné la voiture. Pour la marque, le Führer a pensé à un nom qui claque, Volkswagen, la voiture du peuple. Et pour le nom de modèle, ce sera un slogan, une tagline, comme on dit aujourd’hui : la VW KdF, Kraft durch Freude, « la force par la joie », il avait le sens de la formule, le petit Autrichien moustachu.
Aujourd’hui, Wolfsbourg est une bourgade de 120’000 habitants et on y fabrique des voitures du peuple à la pelle. Les enfants rient dans les écoles, midi sonne au clocher du village et le stade de football peut contenir jusqu’à 30’000 Wolfsbourgeois en liesse lorsque leur équipe marque un but ou deux. Pour des raisons logistiques on a construit le stade à côté de l’usine et on l’a baptisé Wolsfburg Volkswagen Arena au cas où certains autochtones n’auraient pas encore compris qu’ils s’appellent VW eux aussi.

Loin de moi l’idée de faire monter le PDG de facebook et le Führer dans la même Coccinelle, même si Adolf et Mark pourraient faire un beau couple sur la banquette avant. Non, c’est seulement lorsque Hitler s’installe à côté de Zuckerberg que la tension monte d’un seul coup et qu’on comprend à quel point leurs destins ne pourront jamais être liés. Par contre, on peut tout de même se demander ce que cet ado post-boutonneux a vraiment dans la tête avec son plan de facebookville. Pareil pour Larry Page qui veut aussi sa Goggletown et accessoirement un accès rapide à l’immortalité. Que se passera-t-il lorsqu’ils auront construit leurs capitales ? La prochaine étape, c’est quoi ? La presse facebook ? L’école facebook ? Les évangiles selon facebook ? Le pays Google ? La terre Google ? L’au-delà Google ?
Une théorie élablorée sur la base d’une étude de tous les allumés que la terre a engendrés dans un passé récent précise qu’à partir d’une certain nombre de milliards de dollars les connections synaptiques des cerveaux les plus entraînés finissent par surchauffer et produire une foison d’utopies grand-guignolesques, un phénomène communément appelé méga-déconnade ou folie des grandeurs.
La même étude indique que l’heureux possesseur du même nombre de milliards de dollars pourra très vite trouver de très nombreux disciples décérébrés qui n’auront cesse de chanter son saint nom et d’acheter ses produits bénis, au nom du Père, du Fils et de la Pomme marquée du saint dentier d’Adam. (Je possède un iPhone et j’écris sur un Macbook Pro trop beau.) Et c’est là qu’on commence à avoir les boules et même à flipper notre race, sauf votre respect, parce que des religions et des disciples armés jusqu’aux dents il y en a déjà suffisamment pour faire sauter dix-mille fois notre planète et aussi parce qu’on est déjà servis en matière d’hymnes nationaux qui promettent une belle raclée à l’étranger mugissant venu égorger nos fils et nos compagnes.

Zuckerberg, Page et tous les autres, soyez cool, il y a tant d’argent et si peu de riches, alors, faites-vous plaisir ! Soyez créatifs : bien claquer son pognon peut être très divertissant : pensez à l’art contemporain, à tous ces tableaux de Van Gogh que vous pourriez soustraire à la vue de la foule vulgaire, à ces voitures de collection que vous enterrerez au vingt-quatrième sous-sol, à ces rangées de bouteilles millésimées qui dormiront dans le noir de votre cave et que personne ne boira jamais. Pensez également à construire des garçonnières, que vos sens puissent exulter à l’abri des regards et des yachts de trois cent mètres pour que vos pieds délicats soient préservés du sel des vagues.
Enfin, éclatez-vous, que diable ! On ne vit qu’une fois. Donnez des fêtes somptueuses. Défoncez-vous aux alcools rares, au pesto, à la truffe blanche, à la cuillère qu’on chauffe et aux mélanges d’herbes des hauts-plateaux. Et surtout, surtout, faites-ça entre vous. Tel qu’il est, ce monde n’a plus besoin d’être acheté, conquis ou dominé.

Tel qu’il est, ce monde est déjà bien assez fou sans vous.

Sous la jupe du chihuhahua instantané

Hic et nunc. Ici et maintenant.
Immédiatement. Tout et tout de suite. Un python australien avale un chihuahua et c’est l’émoi mondial instantané. 30 secondes après le décès, 23’896 personnes se retrouvent sur un mur Facebook pour pleurer le défunt. Sur une page concurrente, 12’574 Faceboukiens s’unissent pour soutenir le python en passe d’être exécuté par les autorités locales. En Australie, un débat national s’engage sur la taille minimale des animaux de compagnie et sur la nécessité de réglementer la longueur des pythons. Le gouvernement anglais rappelle aux Australiens les droits à une croissance naturelle et illimitée pour tous les animaux nés sur le sol de l’empire britannique. La reine est envoyée avec sa malle à chapeaux et le prince Charles. Les deux parties se réunissent en conclave pour élaborer un nouveau projet de loi à soumettre dans les meilleurs délais. Les journalistes du monde entier déploient leurs antennes paraboliques devant le siège du gouvernement australien pour retransmettre en direct le résultat des négociations.  La nuit tombe, le monde entier retient son souffle. Après de longues heures angoissées, un communiqué officiel est transmis, la reine va parler dans cinq minutes. Le monde entier se fige. L’attente est insupportable.

Et c’est juste le moment que choisit un Labrador français pour ouvrir le frigo de son propriétaire et engloutir la totalité d’un camembert AOC entouré de son papier de protection biodégradable. L’animal est dans un état critique, la faculté refuse de se prononcer sur ses chances de survie. Sur Facebook, les membres de la Société Protectrice du Camembert se déchaînent. Les Labradors répliquent en créant un Comité d’Action Nationale et défilent dans Paris. Ils font dix fois le tour du Panthéon en salivant. La question est soulevée en haut lieu. L’assemblée nationale s’empare du dossier. Des heures de débats houleux débouchent sur deux projets de loi : l’interdiction faite aux chiens d’ouvrir la porte du frigo et l’obligation faite aux producteurs de camembert d’introduire dans le cursus canin des cours de sensibilisation à la pâte molle. Les sénateurs sont réunis en conclave. Les journalistes du monde entier quittent l’Australie sans attendre la décision de sa Très Gracieuse Majesté. Ils atterrissent en hâte à Paris. Ils déploient leurs antennes paraboliques. La nuit tombe. Le monde entier est en apesanteur. Après de longues heures affreuses, un émissaire gris sort du noir pour dire que le président va parler dans trois minutes. Le monde se bloque. Les estomacs se nouent.
Pendant ce temps tout le monde meurt, on ne sait même pas comment.

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