Sous la jupe des cerises

cerisesJe sais, c’est pas bien.
Pas la saison. Pas le moment. La planète se réchauffe. Dans le ciel les avions lâchent des gaz toxiques en continu. La banquise fout le camp. Le Pôle Nord glisse vers le Pôle Sud entraînant les ours blancs vers des plages de sable blanc.
N’empêche qu’en plein milieu du rayon fruits et légumes il y avait un présentoir chargé de cerises qui me tendait les bras. J’ai pensé qu’on était à peine entrés dans avril. Je me suis précipité vers les salades, de saison si possible. De là, je me suis dirigé vers d’autres légumes mais j’avais oublié les pommes. Les pommes, juste derrière les cerises, justement. Un grand bac allongé, rempli de cerises rondes, la peau pourpre et brillante et la croupe tendue à la limite de l’éclatement.
J’ai pas pu.
J’ai jeté un coup d’œil rapide autour de moi. Les autres clients regardaient les prix, lisaient les étiquettes, les plus chenus à l’aide d’une loupe gracieusement installée sur les chariots par un propriétaire sensible aux affres du troisième âge. C’était le moment. J’ai glissé une barquette en douce dans le chariot. Sous la salade. À la caisse, j’ai pris un air dégagé. Les courses pour toute la semaine et pour trois personnes, dont deux adolescents mâles et pourvus d’estomacs télescopiques : sur le tapis roulant, il y en avait pour au moins deux mètres de nourriture. La caissière était ailleurs. Elle a passé les cerises au scanner sans même les regarder. Arrivé au garage, je n’y tenais plus. La tête dans le coffre ouvert, à l’abri des regards, j’ai ouvert l’emballage transparent. Les papilles frémissantes à l’idée de la chair tendre et liquide, remplie du parfum de fleurs, de soleil et de miel vert.
J’ai mordu dedans.
J’ai trouvé un goût de gélatine avec une coque en plastique autour.
Ça m’apprendra à réchauffer la planète.

Auteur : Nicolas Esse

Depuis 1962, je regarde les nuages qui passent avant d'aller mourir.

3 réflexions sur « Sous la jupe des cerises »

  1. Pauvre, pauvre petite cerise, née que pour cet instant précis. Arborant, généreuse, ses plus beaux arguments pour te séduire. Soulagée du regard froid et distant de la caissière qui pense que ce n’est pas la saison, mais qui dans son silence consent à ta gourmandise.
    Fière et frémissante, posée sur le dessus de la multitude pour ne pas être écrasée, elle sait que tout va venir lorsque tu te penches dans le coffre, que tu tends une main tremblante de culpabilité pour t’en saisir.
    Voilà, elle y est enfin, buttant sur tes lèvres avides, glissant pour rouler dans le creux de ta bouche, tendue pour exploser sous la puissance de tes dents et se repandre…Fade et décevante…
    Pauvre, pauvre petite cerise qui toute sa vie s’est rêvée goûteuse et meurt encore de ta frustration !
    Son petit noyau gît encore, privé de sa chair insipide sur l’asphalte qui lui refuse même le droit de s’enraciner !
    Ayons une pensée émue pour notre petite cerise !

    Au fait, il m’a fallu trois visites sur ton site pour comprendre que je devais me promener sur la droite de l’écran et te découvrir ! On ne se moque pas !!! Pas facile quand à la place du cerveau on a un poix chiche qui gigotte lamentablement.

    Piou.

  2. Ce matin, alors que la rosée était déjà séchée par un fort vent, je me suis aventuré sous le cerisier de mon jardin afin de choisir parmi ses branches tendues, une grappe de cerises bien mures . Mon bras s’est dirigé vers l’une d’elle et j’ai cueilli le fruit avec le sentiment de voler en douce une saveur rare.
    Quelle fut ma surprise lorsque le fruit à éclaté sous mes dents en libérant une saveur d’enfance jamais oubliée; celle des fruits volés bien supérieure à toute saveur mémoire que l’on garde en soi.
    J’étais soulagé. Le vilain Nicolas m’a fait culpabiliser un moment en croyant que les saveurs eurent disparues de notre planète dans un grand coup de réchauffement collectif incontrôlé. Pas besoin de prendre l’avion pour retrouver les oasis perdus de nos saveurs d’antan. Il faut juste tendre les bras aux bons endroits

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