La véritable origine de l’automne (1)

En ces jours fripés où les feuilles virent à l’aigre avant de tomber, où un vent poisseux vient barbouiller de brume pâle les jambes bronzées de l’été, dans cet entre-temps mort qui porte déjà le visage de l’hiver sans jamais vouloir prononcer son nom, on scrute en vain le ciel en se demandant quel sanglot long et idiot a bien pu inventer l’automne pour nous blesser d’une langueur si monotone.

Pourquoi ne pas passer directement de l’été à l’hiver ? Douze mois font exactement une année, mais pourquoi quatre saisons ? Pourquoi pas trois ou deux, ou cinq ? Et surtout, pourquoi l’automne alors qu’il y a l’été ?

Dans les dernières lueurs de ce mois d’octobre lugubre et agonisant, je me sens moi-même dans un état peu rassurant. Je suffoque, je blêmis, je fais le décompte des jours anciens et m’aperçois avec Verlaine qu’un vent mauvais m’emporte vers un tas de feuilles mortes. Rassemblant mes dernières forces, je lutte à contre-courant. Le vent forcit, je m’arc-boute. Le vent rugit et je rampe. J’avance millimètre par millimètre en direction de mon humble demeure que je devine à peine, derrière la nappe de brouillard épais qui monte du sol lourd. Encore un effort. Ne pas s’arrêter. Penser à Guillaumet dans les Andes. Encore dix mètres. Cinq. Deux. Dans ma poche, le trousseau de clés pèse une tonne. Je le soulève à bout de bras. Mes doigts gourds ne trouvent plus le chemin de la serrure. Le vent m’enveloppe dans son souffle glacé. Tout se brouille. Ma main aveugle se tend une dernière fois. Une dernière fois. D’un seul coup la clé s’enfonce et tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. J’abaisse la poignée. Je me jette à l’intérieur. Je referme la porte, haletant et have.
Tout se calme d’un seul coup.
Dehors, l’automne hurle à la mort mais il l’a dans l’os en ce qui me concerne. Dedans, il est temps d’ajouter quelques bûches de mélèze au feu qui mijote. De préparer un lait au miel avec du chocolat. De mettre un pyjama. Un bonnet de nuit et une paire de charentaises. Ensuite, le corps envahi par d’enivrantes bouffées de sève chaude, ouvrons le premier volume de l’Encyclopédie Universelle à la page 875, où nous trouvons un article très documenté et consacré à l’automne. Penchons-nous sur la première phrase :

« Au commencement était l’été. »

Deuxième promenade : entre demain et aujourd’hui

Dimanche, le matin calme regarde le ciel qui s’anime.

L’air est encore bleu de la nuit. Il fait doux. Les couleurs attendent encore un peu. Encore un instant. Que les yeux se réveillent. Que le café fume. Les couleurs attendent et je regarde dehors. Ce sera une belle journée. Une journée de plein été, remplie d’heures immenses et ensoleillées. Ce soir, le soleil n’en finira pas de se coucher, de ne pas toucher ce point de contact tout au bout de l’ouest. Il y aura un instant où ce point s’enfoncera, où la terre basculera pour repousser la nuit. Une minute encore, juste une minute.

C’est un jour d’été finissant et rempli de taches de couleurs. Sur l’herbe rase, les feuilles découpent des zones d’ombre nettes et floues. Toutes les nuances qui vont du vert pomme au bleu foncé. C’est un pré impressionniste. Un pré peint à la main. Un pré au bord de l’automne. Un pré fait pour ses mains. Elle marche, je marche. Elle regarde le ciel bleu pétrole et les feuilles des arbres. Elle me demande si l’automne arrive et quand les feuilles des arbres tombent. Je réfléchis. Elle et moi avons toujours les mêmes questions. Et les mêmes réponses. Je regarde les arbres. Pourquoi les feuilles tombent ? Pourquoi les feuilles devraient tomber un jour, alors qu’il fait si beau ? Alors qu’il fait si chaud ? Chaque année les feuilles rouillent et sèchent. Personne ne s’étonne. Personne ne s’énerve. Je voudrais bien qu’on m’explique. Je voudrais bien m’énerver.
Je la regarde. Alors, les feuilles s’arrêtent de tomber.

Je marche seul et c’est le cœur de l’été. L’air est épais de chaleur. Je marche seul au cœur de l’été. L’ombre est fraîche au-dessous de mon arbre, bien planté au milieu du pré. Peu importe le temps et combien d’aubes ou combien de dimanches.
Elle arrivera dans le matin ou dans l’après-midi.

Elle reviendra le soir et moi, j’aurai le crépuscule heureux.

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