Pâques sans lapin

Nous allons manquer de tout il paraît.

Noël sera triste, tellement triste, sous le sapin, les cadeaux rares, nous restera-t-il encore des pulls trop moches à échanger ? Des livres qu’on ne lira jamais ? Des bougies aux odeurs de caramel mouillé ? Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir revendre le jour d’après ?
Et on bouffera quoi si la dinde ne vient pas ? Du poulet ? Et pourquoi pas du pigeon tant qu’on y est.

Noël sans dinde, c’est comme Pâques sans chocolat. D’ailleurs, faudrait y penser, au chocolat. Imagine un peu, tu sors du carême, hâve, décharné, la glycémie en berne, l’estomac, je te raconte pas, c’est à peine si tu arrives encore à franchir la porte du supermarché. Tes dernières forces te poussent jusqu’à la section léporidés chocolatés. Et là, sidération, horreur et consternation, plus aucun lapin sur toute la longueur du linéaire, un étal vide et blanc piqué d’un message que tu déchiffres dans le brouillard : RUPTURE DE STOCK.
Tu as un éblouissement. Tes jambes se dérobent et tu d’assieds à même le sol indifférent aux regards surpris du chaland. Un employé en uniforme s’approche, se penche vers toi.

_  Monsieur, monsieur ! Ça  ne va pas ?
_  Je veux mon lapin en chocolat.
_  Malheureusement, nous avons tout vendu.
_  Même ceux en chocolat blanc ?
_  Même ceux en chocolat blanc.
_  Et ceux en chocolat noir ?
_  Pareil, y en a plus. C’est la PÉNURIE !
_  La pénurie ? Mais alors moi, qu’est-ce que je vais devenir ?
_  Je sais pas Monsieur. Vous voulez que je vous conduise au rayon chocolats ? Il nous reste de très beaux assortiments.
_  Des assortiments de Pâques, vous dites vraiment n’importe quoi. Et des œufs, il vous en reste des œufs ? Avec un beau ruban ?
_  Nous avons vendu tous les articles de Pâques, y compris les œufs, avec ou sans ruban.
_  Mais alors, qu’est-ce que je vais faire moi, sans lapins et sans œufs ?
_  Je peux vous proposer nos boites de pralinés.
_  Pralinés de Pâques. Haha.
_  Nos tablettes grand cru.
_  Et puis quoi encore ? Bourgogne de Pâques ?
_  Allons allons, monsieur, relevez-vous. Venez avec moi, je vous emmène au rayon chocolats.
_  Non, je veux pas.
_  Vous n’allez pas rester assis comme ça au milieu de l’allée.
_  Si.
_  Mais…
_  Pas de mais. Je suis bien ici. J’attends.
_  Vous attendez quoi ?
_  Mon lapin en chocolat. Emballé dans du papier doré. Avec la petite clochette et le petit ruban. Sinon ce sera le début de la fin. Pas de lapin. Pas de Pâques. Effondrement du cacao. Effet papillon. Crash boursier. Crise mondiale. Guerre nucléaire. Explosion de la terre.
_  On va tous mourir alors.
_  Oui.
_  Et pourtant on a encore plein de chocolat. On pourrait le manger en fermant les yeux. Le goût y est. Il suffirait d’imaginer qu’on mange les oreilles, ou le nez, ou les pattes.
_  Les lois du marché n’ont pas d’imagination.
_  Et si on laissait tomber pour cette année.
_  Que dirons-nous à nos enfants ? Leurs grands yeux humides et leurs petites mains qui se tendent vers un dimanche de Pâques sans lapin.
_  On pourrait…
_  Rien. On ne peut plus rien faire. RUPTURE DE STOCK. Le petit lapin est mort et nous, nous sommes arrivés au bout du chemin.
_  On pourrait rien du tout. J’ai encore vérifié ce matin, les stocks sont vides. VIDES, vous comprenez ? Le problème, c’est la Chine, c’est eux, les Chinois. Leurs usines, ils n’auraient jamais dû les fermer. On va peut-être passer Noël. Avec un peu de chance, on aura juste assez de jouets. Mais Pâques c’est sans espoir. La catastrophe est programmée. Pas de résurrection, cette année. Le tombeau restera fermé.
Ce sera la mort de l’humanité.

Recette de biscuit au chocolat


Le biscuit au chocolat est un univers impitoyable.

Regardez le poste de télévision : pas un jour ne se passe sans qu’un constructeur de biscuits ne dépose un nouveau brevet. Le biscuit sous le chocolat. Le chocolat dans le biscuit.  Le chocolat en sandwich entre deux couches de biscuits qui apparait par une fenêtre en forme d’étoile, c’est joli. Le chocolat laminé. Le chocolat fritté. Le chocolat injecté. Le chocolat en fusion. Le chocolat moléculaire. Le chocolat virtuel, en 3D à manger avec des lunettes spéciales. Le chocolat que tu vois même pas dans tes rêves.
Cette débauche d’effets spéciaux nous consterne. Le biscuit au chocolat est une chose simple. D’un côté, le biscuit. De l’autre le chocolat. Et seulement deux manières de les assembler.

1) Assemblage mécanique : Une petite plaque de chocolat collée à la surface d’un petit beurre à l’aide d’une colle spéciale, voir avec le fabricant. La plaque peut être collée sur la face extérieure du biscuit ou compressée entre deux plaques de biscuit, selon le principe du sandwich au jambon.
2) Assemblage fusionnel : une couche de chocolat coulée sur la surface du petit beurre ou sous le petit beurre. Les molécules de chocolat enrobent les molécules de biscuit selon un procédé spécial, voir avec le fabricant. (Cette catégorie inclut les pépites de chocolat plus ou moins enfouies au cœur du biscuit)

Que nous ayons affaire à un biscuit mécanique ou fusionnel, il n’existe qu’une seule manière de le manger, qui consiste à séparer le biscuit du chocolat.
Pour les produits résultant de l’assemblage mécanique des composants, on procédera avec les mains en tenant fermement le biscuit et le chocolat. On imprimera ensuite une traction progressive jusqu’à ce que le biscuit se désintègre, et fasse des miettes partout. Au final, des mains sales et il reste des fragments de biscuit agrippés au chocolat. Dans le cas du sandwich, appliquer une traction, ensuite procéder comme avec le produit issu du coulage. (Voir ci-dessous)
Les biscuits où le chocolat a été coulé directement sur la surface du biscuit présentent une difficulté supérieure et les ingénieurs sourient derrière la vitre. Seul un passage au four pourrait dissocier les deux éléments, mais comment récupérer le chocolat qui coule ? Ne reculons pas. Ouvrons la bouche. Enfonçons la galette à demi en direction du palais, face chocolat vers le haut. Poussons avec la langue vers la sortie. Simultanément, nos incisives supérieures raclent la surface et décollent une longue bande de chocolat qui fond sur la langue et pas dans la main. Répétons l’opération. Pas mal, mais au final, il reste de longues trainées sombres et le biscuit a ramolli. On procèdera de la même manière pour les pépites, en utilisant les incisives mieux adaptées aux crevasses.

Il est long, le chemin qui reste à parcourir pour séparer le biscuit du chocolat.

Remerciements @sophierandr  princesse tweeteuse du Pépito, biscuit de coulage au chocolat noir.

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