L’horoscope de la femme cancer (9ème partie)

Nous avons quitté le Prince de Galles qui rentrait à la maison.

Assise derrière son bureau, droite, immobile, marmoréenne, la reine Elisabeth d’Angleterre, deuxième du nom, ressemble de façon frappante à sa copie de cire qui regarde la foule défiler devant son box du Musée de Madame Tussaud. Pas un frémissement de cheveu dans ce casque amidonné.

Vous souhaitiez me voir, Charles. Je suis là. Je vous écoute.
Voici, mère. Il s’agit de Diana et moi. Enfin de nos enfants.
Charles, je croyais que cette discussion était terminée. Elle l’est, en réalité. C’est bien vous qui avez voulu épouser cette petite Spencer, malgré Nos avertissements et le non-alignement de vos signes astrologiques. L’histoire exige de Nous une fermeté sans faille. Nous n’allons pas vous rappeler ici les treize-fausses couches d’Anne de Grande Bretagne. (Voir l’introduction de l’horoscope de la femme cancer, beaucoup plus bas dans le blog.)
Non, vous n’allez pas.
Bon, alors que pourrions-Nous ajouter à ce sujet que Nous n’aurions déjà épuisé à maintes reprises ?
Il y a un fait nouveau.
Charles, avez-vous perdu l’esprit ? Nous vous rappelons que c’est Nous qui vous avons enfanté, c’était en novembre et Nous en gardons un souvenir cuisant. Quant à Diana, les registres sont formels. Elle est bien née un premier juillet. Il n’y a aucune compatibilité astrologique entre vous. Votre amour aveugle pour cette intrigante Nous prive de la joie de voir un jour Nos petits-enfants sur la photo officielle de Notre Royale Famille.
Oui, mais il y a quand même un fait nouveau.
Vous êtes aussi obtus que votre grand oncle Edward VIII, lui et son Américaine, une véritable tête de mule. Le futile prétexte de l’amour n’a jamais servi qu’aux pleutres.
Mère, il ne s’agit pas d’amour. Il s’agit d’un plan.
Mais d’un plan pour quoi, grands Dieux ?
Voici. Après ces premiers mois de vie commune, je dois avouer que la passion a fait place à l’ennui.
Dieux du ciel, et c’est pour énoncer cet abyssal lieu commun que vous vouliez Nous rencontrer.
Diana m’indiffère, mais elle est là. Et il faut des enfants.
Charles, je sens que la confusion vous habite. Expliquez-vous une fois pour toutes et finissez avec  vos plaintes puériles. Á votre âge, le Christ avait déjà été mis en croix.
Mère, vous souvenez-vous de Camillus Parker, nous étions au Collège ensemble ?
Charles, si Nous Nous souvenons… Un garçon exquis et qui jouait Crosby, Stills and Nash avec un doigté à nul autre pareil.
Je vois que vos souvenirs sont encore vifs.
Et vos remarques encore acerbes. Ce Camillus était le seul garçon fréquentable que vous ayez jamais réussi à ramener au Palais durant le temps infini qu’a duré votre parcours scolaire.
Soit. Je suis d’accord avec vous, pour une fois. Eh bien, figurez-vous que j’ai revu Camillus le week-end dernier à Balmoral.
Je vois. Et je comprends l’égarement de votre épouse qui a passé son week-end à hanter les couloirs du Palais à la recherche de la vraie raison de votre absence subite.
Laissons mon épouse de côté. Ce n’est pas le sujet.
Oui, mais quel est le sujet ?
Camillus est le sujet. Mère, ce week-end, Camillus et moi avons enfin laissé parler nos sentiments bâillonnés depuis l’adolescence. Je suis amoureux de Camillus et la réciproque est vraie aussi.
Charles, je suis une mère moderne. La couronne a une longue tradition d’unions cachées et plus ou moins assorties. Est-ce tout ?
Non mère, je désire épouser Camillus.
Charles, avez-vous perdu la raison ? Depuis quand le Prince de Galles épouse un autre homme ?
Mère, écoutez-moi, nous avons un plan.
Un plan ! Charles vous devriez vous replonger avec ferveur dans vos livres d’architecture.
Camillus est né le 17 juillet 1947 à Londres.
Ce jeune homme a eu bien de la chance de ne pas connaître les horreurs de la guerre.
Oui, mais le 17 juillet. Alors que Diana est née le 1er juillet 1961.
Charles, Nous vous l’avons dit et répété, ce ne sont pas ces treize ans d’âge qui vous séparent qui auront raison de votre mariage. C’est votre poussée de romantisme tardif que je déplore, croyez-le bien.
Je n’éprouve effectivement plus aucun élan pour Diana. Mais il s’agit de dates de naissance. Camillus et Diana sont tous deux nés en juillet. Ils partagent par conséquent le même signe astrologique.

À ce moment de la conversation, la reine Elizabeth II d’Angleterre relève les yeux vers son royal rejeton et dans son regard glacé passe d’abord une interrogation, suivie d’une hésitation, qui débouche sur une stupéfaction.

L’horoscope de la femme cancer (2ème partie)

Nous avions quitté Buckingham Palace alors que Big Ben sonnait cinq coups. (Voir plus bas.)

La reine Elizabeth boit son thé. Diana, le regard dans le vague repousse d’un geste las la tasse posée sur un plateau d’argent qu’un majordome empesé tient entre le pouce et l’index. Charles réfléchit intensément. Il faut faire un enfant. Il se souvient de cet adolescent à l’allure vénitienne rencontré sur les champs de courses. Ce camarade aux épaules fuselées et à la longue chevelure bouclée. Son esprit s’envole. Il revoit les poursuites infinies dans les lueurs pâles de l’automne. Deux adolescents en fleurs montés sur des chevaux fous que les premières brumes exaltent. Et un soir, ce moment unique aux lunes où Charles malgré lui tendit une main peureuse vers cette toison dorée pour en éprouver le maintien, les doigts perdus dans les lourdes boucles rousses qui flamboyaient encore au cœur de la nuit. Charles a une bouffée de chaleur. Il a besoin de ces cheveux lourds, de ce regard bleu qui vire au vert. C’est une souffrance presque immédiate. Il manque à son cœur une moitié de son cœur. Charles appuie sur un bouton. Il se lève, marche jusqu’à la fenêtre où il attend droit et mélancolique aussi.

– Monsieur a appelé ?
– Soames, vous souvenez-vous de Mr Parker, vous savez, ce jeune homme qui montait à cru Sameson, cette jument écossaise ?
– Monsieur, comment pourrai-je l’avoir oublié ? Un si beau maintien, un port de tête royal, si je peux m’exprimer en ces termes.
– Certes Soames. Certes. Voilà des années que nous ne nous sommes plus rencontrés et je me demandais si le temps n’était pas venu de l’inviter pour un week-end de chasse à Balmoral. Je voudrais le revoir, revoir ses boucles cuivrées que le temps a peut-être préservées de l’outrage du temps. Voyez-vous Soames, le souvenir de ces longues chevauchées dans la brume dorée de l’automne fait remonter le poète en moi.
– Monsieur, je vais de ce pas consulter votre emploi du temps et contacter Mr Parker. Septembre arrive, la saison de la chasse et du saumon, la saison des feux de cheminées roux, la saison où le soleil rouge meurt assassiné.
– Eh bien, mon bon Soames, après ces considérations saisonnières, je vous laisse prendre langue avec mon excellent ami que j’ai hâte de retrouver en tête à tête. Prévenez la Princesse de Galles que je ne serai pas disponible durant le week-end en question. Et je reprendrais une tasse de thé, s’il vous plait.

Tea break two.

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