Les femmes qu’on descend

C’est un message qui commence par « Quelques mots du fond du cœur. » D’autres mots suivent, que je ne vais pas reproduire ici parce que le coeur en question est celui d’Oscar Pistorius, coureur sans jambes que je tire pour quelques minutes des étendues de néant qu’il n’aurait jamais dû quitter.

C’est une histoire qui se passe à la Saint Valentin et justement, ça tombe bien, Oscar est amoureux. Très amoureux. Amoureux au point qu’il ne faudrait pas rigoler, ça non, on ne rigole pas avec l’amour, c’est ce qu’il explique à Reeva, son amoureuse.

Ensuite, on ne sait pas. Moi j’invente une histoire qui tient aussi bien la route que celle d’un cambrioleur qui descendrait du ciel et traverserait les murs pour venir se poser dans les toilettes d’Oscar. Je ne suis pas sûr que les cambrioleurs transplanent, pas plus qu’ils ne choisissent les toilettes pour voler des objets de valeur. On peut inventer cent, mille histoires plus crédibles que l’histoire du voleur. L’histoire de l’amoureux éconduit, par exemple ou celle de l’amoureux jaloux, c’est une histoire banale, pas besoin de se dématérialiser, pas besoin de se transformer en passe-muraille. Non. Des amoureux jaloux, on en a vu des centaines, des milliers, certains crient, d’autres pleurent, certains sont même détruits de l’intérieur. Ils serrent les poings. Ils bandent leurs muscles et ils frappent. Ils frappent des deux mains et elles se protègent. Ils frappent encore et elles se dégagent. Elles s’enfuient. Elles courent vers la salle de bains où elles s’enferment à double tour. Elles éteignent la lumière. Elles s’accroupissent dans le noir. Ils secouent de toutes leurs forces la poignée de la porte. Ils hurlent. Ils leur disent de sortir. Tout de suite. Maintenant. Mais elles, elles restent accroupies dans le noir. Alors, ils se dirigent vers la table, vers l’armoire ou le bureau. Ils prennent un pistolet noir. Ils tirent à l’aveugle derrière la porte. Ils tirent sans jamais s’arrêter. Bang. Bang. Bang. Bang. Les impacts font voler la porte en éclats. Bang pour la Saint Valentin. Bang pour les amoureux. Bang si jamais tu m’échappes. Bang si jamais tu t’en vas. Bang, le silence. Bang, tu es morte. Bang, tu baignes dans ton sang.

« Le mal et la tristesse me consument avec douleur ». C’est ce que tu as dit, Oscar, pour célébrer le première anniversaire de ton premier meurtre. La tristesse te consume et je parie que l’étape suivante sera celle de la rédemption. Je te vois bien ouvrir des orphelinats, Oscar, financer des hôpitaux distribuer ton argent aux pauvres, faire écrire un livre qui parlera de toi, de cette épreuve terrible et de la force que tu as trouvée en Dieu ou dans les plantes pour te relever, lécher tes blessures et reprendre ton chemin ailé sur tes prothèses en fibre de carbone. À ta mort, on inaugurera le stade Oscar Pistorius. Une colombe descendra du ciel et les enfants lâcheront des ballons,

Bang, elle est morte. Les experts en balistique prouveront que les balles ont été déviées par les rideaux du salon. Les avocats diront que c’était de la faute du pistolet. Bang, elle est morte, tout ça ne serait jamais arrivé si elle n’avait pas été là. Elle n’avait qu’a se tenir tranquille. Elle n’avait qu’à couper ses longs cheveux blonds.

Bang.

J’en ai assez. […] J’en ai assez de lire des faits divers où les femmes sont victimes d’agressions, ou de voir des photos d’elles battues et couvertes de bleus. Je suis fatiguée d’entendre parler de viols collectifs, ou de mutilations génitales, ou de violence sexuelle, sans qu’on attache de l’importance à ce qui pourrait être fait pour faire face à tout cela. Plus que tout, j’en ai assez d’entendre que l’on ne peut rien faire pour changer cela. »

Skin, Chanteuse du groupe Skunk Anansie, activiste pour One Billion Rising

Auteur : Nicolas Esse

Depuis 1962, je regarde les nuages qui passent avant d'aller mourir.

4 réflexions sur « Les femmes qu’on descend »

  1. Arrêter tout ça ce n’est pas comme vouloir arrêter les guerres ? Puisqu’il n’y a rien à faire essayons de faire de notre mieux. Et puis pour faire de notre mieux…pour que tout ça cesse de se reproduire…il suffirait que l’être humain cesse de se reproduire…oui je sais…je vais au pire. Il est parfois difficile de prévoir de tels gestes. Aussi lorsque certaines (victimes) peuvent les ressentir à l’avance…il est souvent déjà trop tard pour s’enfuir. J’avoue que je ne sais pas quoi faire pour arrêter tout ça…sauf de dénoncer (certes) si je suis témoin d’actes de violences dans un couple.

    Bisous au passage Nicolas

  2. Bises Denise, je suis aussi démuni que toi, c’est peut-être pour ça que j’en parle de temps en temps ici, pour additionner ma voix à d’autres voix. Mais je dois dire aussi que j’ai des doutes sur l’utilité de la reproduction.

  3. Quelque chose de terrifiant gît au fond de l’humain et le pousse à sa destruction , lui , son semblable, individuellement ou collectivement . Il n’y a pas beaucoup de mots pour dire cette chose. On pense à la pulsion de mort que Freud élabora dans sa théorie pendant la première guerre mondiale. Votre texte ouvre à la réflexion en tout cas. @allearome

  4. Je ne connais pas bien la théorie de Freud, mais c’est vrai que c’est difficile de trouver une explication. Peut-être qu’il s’agit effectivement d’une pulsion, quelque chose en nous, ou alors, c’est peut-être un héritage. Si on prend le cas des violences faites aux femmes, peut-être que c’est le résultat d’un rapport de force défini il y a très longtemps et qui fait aujourd’hui partie intégrante du pack d’options transmis à la naissance. Savoir si c’est inné ou transmis/acquis permettrait d’y voir plus clair, mais il faudrait une bonne machine à remonter le temps…

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