Ouest

– Et toi qui regardes le ciel, que préfères-tu, l’est ou l’ouest ?

– Dans le ciel, je vois des nuages et toute la course du soleil.

– Le levant ou le couchant ?

– Le dîner ou le petit déjeuner. S’asseoir. Manger. Boire. Répéter. Nous ne sommes que des estomacs.

– Tu ne réponds pas.

– Tous les jours. La même faim. La même soif. Et nous, forcés de nous asseoir à la même table, encore et encore. Tous les jours le même refrain, la chanson du ventre vide et du ventre plein. Se lever. Se coucher. Comment pouvons-nous supporter ça ?

– Le lever ou le coucher ?

– Se lever, pourquoi ? Se coucher, pourquoi ? Douche et petit-déjeuner. Et ce soir il y aura le dîner. Entre deux un espace vague. Un décompte macabre. Moins une seconde moins une seconde moins une seconde. Un très long crépuscule.

– Justement, plutôt aube ou crépuscule ?

– La nuit mange tout et l’aube régurgite tout. La fumée des usines et les tas de linge sale. Toute la laideur du monde, tout ce qu’on voudrait oublier, l’aube se charge de nous le rappeler. Tous les matins. Obstinément.

– Alors, tu préfères l’ouest.

– L’ouest marche sans cesse vers le bord bleu de la terre, à l’endroit où le soleil vient se noyer chaque soir. Chaque soir je crois qu’il est mort et je me couche en espérant qu’il n’y ait pas de matin.

Le soleil parfois

Devant toi le paysage se noie dans un pot de ciel gris.
Les arbres flous des montagnes et les vallées s’estompent, leur vert pimpant qui se délaye au fur et à mesure des lavages, du vert printemps au vert de terre, au vert de gris, au gris de mer atone des petits matins effrayés par la nuit.

Récuré au lavis de gris, le monde perd ses lignes brisées, ses angles vifs et ses lignes de démarcation. Recouvert d’un glacis de gris, le monde gagne une nouvelle frontière, un no man’s land aux contours fluctuants qui mange la cime des arbres et les derniers lambeaux de neige accrochés à l’échine décharnée des montagnes.

Devant toi le printemps se noie dans un pot de miel gris. Tu regardes cette zone mouvante et floue où les bords du buvard du ciel absorbent l’encre qui remonte du sommet de la terre.
Tu regardes et tu te dis que le soleil, parfois.

La somme de tout ce que nous sommes

Les mots coulent, dégoulinent, font des rivières et des lacs. Les mots tombent en pluie d’orage ou en bruine, sprayés sur nos visages par le trou de souris d’un brumisateur.

Les mots repeignent les corps de peaux de toutes les couleurs.

Les mots et les idées, le ciel et les immeubles, les cailloux et l’été, le bruit étouffé des pots d’échappement, le passage du feu à l’orange, les images dans tous les écrans. Les cris. Le son du violoncelle. Le bruit des bottes et les explosions. L’absence de l’hiver.  Le vent. L’empreinte d’une autre main. Les gens qui nous parlent de l’intérieur. Les rêves qui nous hantent,  les châteaux en Espagne, les souvenirs qu’on étend et qui ne sécheront jamais.

Le grain rugueux du quotidien, contre notre peau comme un gant de crin qui frotte, gratte, ponce, enlève une couche de peau blanche que le ciel  repeint de bleu ou zèbre d’éclairs brillants.
Toute l’eau du monde qui nous lave à grande eau, à grands coups de Javel, notre chair à vif, nos nerfs à vif, nos entrailles ouvertes, exposées à tous vents. Tout le soleil du monde qui réchauffe les lambeaux de nos chairs provisoires et assemblées par hasard.

Tout ce qui n’est pas nous et fait la somme de tout ce que nous sommes.

Combien de temps mes jambes

Combien de pas en stock dans les faisceaux de muscles usés qui soulèvent mes jambes ?

Mille ? Dix mille ? Cent mille ? Un million ?

Combien de fois encore mon pied gauche pourra-t-il dépasser mon pied droit ? Pour combien de foulées souples ou fracassées par le temps ? Combien de nuits pour arriver au premier jour de l’immobilité ?
À quel moment disparaît l’envie têtue de se lever, de se lancer dans le vide d’un autre matin ?

Combien de temps encore avant que mes jambes refusent de me porter ?

Il faudrait pouvoir aimer le détail de chaque pas. Adorer ce moment de la course où les deux pieds s’envolent, garder comme un trésor le souvenir d’une foulée à-demi étouffée par le poids de la neige, se souvenir des sillons bleus tracés au front froid des montagnes, des traces noires découpées sur la crête des dunes rougies au soleil. Des courses éperdues pour échapper à la lune, des courses perdues d’avance, des courses folles des sandales de l’enfance, de ce miracle reproduit sans cesse : faire un pas et encore un pas, arpenter le hasard des rues de la ville, prendre à gauche ou à droite, décider de suivre un manteau vert ou gris, se perdre, décider de traverser le rideau de la nuit, mettre un pied devant l’autre.  S’en aller.

Et surtout, envers et contre tout, marcher léger sous le soleil. Un imperméable n’empêchera pas la pluie d’arriver.

Sa peau se mélange au ciel

Le ciel verse du bleu
Sur les collines de sa peau blonde.
Le soleil allume
Une ligne brillante qui longe son épaule.
Une ligne liquide qui coule
Et forme une flaque claire au creux de son cou.

Sa peau se mélange au ciel.
Sa peau se farde de soleil
Et le noir de ses yeux s’est fondu dans le bleu.
Mille ombres portées éclaboussent ses jambes
Et le soleil fatigué
Se couche sur son corps allongé.

Un dimanche d’été.
Une très belle journée.
Impressions.

Sous la jupe du crépuscule

Filles dorées et garçons charnus.
Je vous demande pour une fois de lire ce qui suit avec une extrême attention. Pour ceux que l’écran incite à la lecture rapide, imprimez cet article et lisez à feu doux. Pour les autres, prenez votre tête dans vos mains mon cousin.

Nous allons pour une fois quitter l’anecdote et monter toucher la philosophie. Tout le monde est prêt ? OK, alors voici mes questions : pourquoi le coucher de soleil est joli ? Pourquoi le soleil flamboie ? Pourquoi le ciel poudroie ? Pourquoi l’instant d’avant tout est orange ? Pourquoi l’instant d’après tout est violet ? Et pourquoi ce dégradé de couleurs de l’orange sanguine à l’oultremer.
Vous dites ? Oui ? La réfraction de la lumière! La direction des rayons qui franchissent l’atmosphère à un angle alpha. Les rayons qui sont déviés sur une trajectoire béta. Les couches gazeuses. Stop! La physique, la chimie et l’optique, c’est très cool, vraiment. La réfraction, la diffraction, célébrons les mots en « ction » qui sont riches en glucides lents. Tout s’explique et même le reste. Il suffit d’un cerveau supérieur, d’une éprouvette graduée et d’un ordinateur piloté par ordinateur pour décrypter les phénomènes optiques les plus sophistiqués. La technique, c’est du nougat.  Alléluia. 

Mais alors pourquoi c’est beau ? Le soleil aurait  pu juste se casser la gueule au fond du ciel sans faire un fromage. Sans envoyer un feu d’artifice superflu qui oblige des millions d’humains à faire des millions de photos. Un ingénieur aurait réglé la chose sans états d’âme. 18h57 le soleil est là. 18h58 le soleil n’est plus là. Une minute, c’est le jour. La minute suivante , c’est la nuit. Bonne nuit les petits.

Pourquoi faire beau quand on pourrait faire rien ?

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