Le Vent Nous Emportera. Encore.

Notez, s’il vous plaît. Pour faire un film il faut :

– Un scénario hollywoodien découpé en tranches égales.
– De grands acteurs hollywoodiens siliconés.
– Des effets spéciaux hollywoodiens avec des explosions et des bagarres au ralenti.
– De la musique hollywoodienne qui fait sursauter aux moments de grande tension.
– Et surtout, une histoire d’amour sous-jacente quel que soit le sujet. Par exemple, l’invasion de l’Amérique par des extraterrestres bisexuels gélatineux.

L’histoire d’amour comportera 7 phases principales :
1) L’éveil des sens. Il s’agit avant tout d’un échange de regards énamourés.
2) Le premier baiser qui consiste en une bouillabaisse de langues sur fond de soupirs, voire de râles profonds pour les films à gros budget.
3) L’accouplement frénétique et néanmoins suggéré. Il sera de bon ton qu’elle se lève après l’acte,  emportant avec la totalité de la literie pour recouvrir ses plus généreux appâts.
4) La crise ou nœud psychologique où il lui révèle son appartenance à la Confrérie des Mangeurs de Boudin Cru alors qu’elle est végétarienne.
5) La traversée du désert. Il mange du boudin cru seul au petit-déjeuner. Elle mange de la pomme de terre crue toute seule au petit-déjeuner
6) L’heureux avènement du hasard facétieux. Il regarde mélancoliquement la devanture du magasin bio. Et voila-t-y pas qu’elle sort du magasin, à ce même moment. Un ange vrombit.
7) L’extase finale. Tout le monde se retrouve au lit. Il y a des soupirs, des râles et des rugissements.  Au cours de l’orgasme final, il dit groumpf, elle dit ohoui.

Ce qui nous amène à l’intervention de l’armée américaine qui a découvert la faille juste sous le genou droit des extraterrestres qui sont boutés hors d’Amérique et même des États-Unis. Générique de fin. Applaudissements.

Eh bien, vous me croirez si vous le voulez, Le vent nous emportera, film d’Abbas Kiarostami, ne comporte aucun de ces composants essentiels à la manufacture d’un vrai film. Pas de scénario carré, pas d’acteur connu, pas de musique, sauf durant les 30 dernières secondes. Pas d’effets spéciaux, à part le paysage, les champs dorés qui suivent les vagues du vent, et un village arraché à la montagne dont il reprend les reliefs. Pas d’histoire d’amour, mis à part peut-être l’attachement d’un homme pour ce village perdu et un petit garçon qui ne veut pas être dérangé parce que les examens arrivent et qu’il faut faire de bonnes notes.
D’ailleurs, le niveau technologique est si bas que le personnage principal doit prendre une voiture défoncée et grimper au sommet de la plus haute colline pour que son téléphone portable puisse se connecter à un réseau qu’on devine peu porté sur le haut débit.
Le vent nous emportera est un film où la caméra se tient au plus près de la vie tout en ménageant juste ce qu’il faut de distance poétique pour éviter le documentaire. Si jamais vous avez la chance de voir ce film, n’hésitez pas.
Le vent vous emportera. Vous aussi.

Le vent nous emportera

Dans ma nuit si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si  brève est remplie de l’angoisse dévastatrice
Ecoute! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je me suis accoutumée.
Ecoute! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochés à ce toit
Qui risque de s’effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l’accouchement de la pluie,
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre,
C’est la nuit qui tremble
Et c’est la terre qui s’arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s’inquiète
Pour moi et pour toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains – ces souvenirs ardents –
Sur mes mains amoureuses
Et confie tes lèvres, repues de la chaleur de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera!
Le vent nous emportera!

Forough Farrokhzad, poétesse iranienne. Née en  à Téhéran, 1937 – 1967.
Poème extrait de « Le vent nous emportera » un film de Abbas Kiarostami

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