Un fil rouge ou noir


Qu’est-ce que ça peut faire la couleur du fil?

C’est un fil qui s’étire à l’infini. Un fil embrouillé et tendu au-dessus des montagnes. Un fil posé au fond des mers et des océans. C’est un fil obstiné. Un fil fluide qui coule sans se blesser entre les lames du ciseau.

C’est un fil élastique qui ne voudra jamais lâcher et que je voudrais bien tendre jusqu’à son point de rupture avant de l’envoyer en pleine figure, dans la face du temps qui passe. Un fil de fer suspendu à un dos de pont suspendu. Un fil doré qui fait le tour d’un tronc d’arbre planté dans le mois de juillet. Un fil invisible qui s’allume seulement à la lueur des étoiles. Un fil noir qui brille seulement quand il fait nuit.

Un fil de barbe à papa.  C’est exactement ça. Un fil qui ne commence pas. Qui ne finit pas. Qui s’entortille autour des doigts. Alors, je secoue les mains, je gesticule, je brasse de l’air en accéléré. Toute cette agitation, c’est comique. Je fais des mouvements épileptiques, et mes mains  tragiques,  mes mains s’agitent dans le vide.  À la fin, le fil reste collé autour de mes mains.

À la fin, il reste ce fil qui traverse le monde, les montagnes et les océans. Un fil qui contourne les bombes et les éclats d’obus. Un fil rouge et noir qui part d’ici et passe par deux bracelets que ses poignets retiennent.  Un fil qui résiste au soleil de plomb, à l’eau et au sel. Un fil qui vibre comme ça, sans raison, au milieu de la nuit.

Je me réveille.

Le fil tendu résonne comme une corde de contrebasse. Je regarde le ciel. Tout est si calme ici. Pendant ce temps, elle est en guerre. Je regarde la nuit et la nuit me regarde.
J’essaie de ne plus y penser.

J’essaie d’oublier que sa vie ne tient qu’à un fil.

Le temps de l’indécision

Est-ce que je pars, est-ce que je reste ?
Est-ce qu’il fera beau demain ?
Est-ce que je pars, est-ce que  je reste ?
J’attendrai demain matin.

Si je pars, est-ce que je reviens ?
Est-ce que je pars pour toujours ?
Si je pars, est-ce que je reviens ?
J’attendrai un autre jour.

Est-ce que Paris au mois d’août
Vaut Paris au mois de septembre ?
Est-ce que j’attends le mois d’octobre
Pour enfin aller à Berlin ?

Est-ce que j’écris, est-ce que je peins ?
Combien de temps je vais attendre ?
Combien de temps je vais rester
À regarder mes mains vieillir ?

Et si je l’avais prise par la taille ?
Et si j’avais poussé sa porte ?
Et si j’étais simplement monté
Avant de redescendre ?

Une fois de plus, je me suis trompé.
Et simplement n’existe pas.
Finalement qu’est-ce que ça change ?
Demain, je me tromperai encore

Je me tromperai moins demain.

Elle est plus belle que le matin


Allongée sur le dos, elle dort.
Elle dort enfin et son visage apaisé
Offre à la nuit son profil sans les nuages.
Son profil encore après les orages.
Après le monde qui s’écroule.
Son profil intact.

La nuit n’y peut rien.
Le monde n’y peut rien.
Peut-être qu’elle rêve,
Qu’elle lutte contre ses images.
Mais il y a ce moment
Où son visage se détend.
S’épure.
Fend la mer de la nuit.

Allongée sur le dos,
Elle dort enfin.
Le jour se lève
Et découvre ce profil allongé.
Le jour tendre s’est penché vers elle
Pour caresser ce visage.
Que la nuit voudrait garder.

Alors,
Sans plus attendre,
Le jour a renvoyé la nuit.
Maintenant, son profil
Dort dans la lumière pâle.
Elle est plus belle que le matin.

Sa peau se mélange au ciel

Le ciel verse du bleu
Sur les collines de sa peau blonde.
Le soleil allume
Une ligne brillante qui longe son épaule.
Une ligne liquide qui coule
Et forme une flaque claire au creux de son cou.

Sa peau se mélange au ciel.
Sa peau se farde de soleil
Et le noir de ses yeux s’est fondu dans le bleu.
Mille ombres portées éclaboussent ses jambes
Et le soleil fatigué
Se couche sur son corps allongé.

Un dimanche d’été.
Une très belle journée.
Impressions.

L’eau vient la regarder

 
Elle regarde les couleurs que le crépuscule dessine
Sur son visage dans les reflets du lac d’été.
Elle est proche et loin.
En kilomètres, c’est tout proche, en vies c’est très loin.
Des milliers de vies nous séparent
Et la distance d’un lac.
L’épaisseur d’un orage.
Cet éclair vient de chez elle et elle entend mon tonnerre.

Elle regarde les couleurs que le crépuscule dessine,
Elle est assise au bord du lac et l’eau saisie se fige,
Pour venir la regarder.

Le temps suspendu par des câbles d’acier


Le temps suspendu par des câbles d’acier
Fait une courbe tendue au dessus du vide.
Le temps suspendu par des piliers d’acier
S’avance au dessus de l’eau.
Au milieu, le vide.
Deux lignes de temps en points de suspension
Font une trace légère dans le ciel de juillet.

Elle a levé les yeux, dans sa robe légère
Et le temps qui passait dans le ciel s’est arrêté.
Le temps s’est approché d’elle et s’est demandé :
« Pourquoi faire beau quand on peut faire rien? »

En attendant juillet

C’est un jour gris et bas. Un jour sans ciel.
Un jour d’automne venu tacher l’été.
L’automne en automne c’est déjà difficile,
Il faudrait interdire l’automne en été.

C’est un jour d’été gris et bas.
Les oiseaux se taisent, qu’on entende les corbeaux. 
C’est un jour humide et la pluie se retient de tomber : 
Le gris serait moins gris et il y aurait de l’été.
La pluie pourrait faire penser à l’orage,
La pluie pourrait prendre une couleur de l’été.
Alors, les gouttes s’accrochent et refusent de tomber.

C’est un temps pour attendre quand on n’aime pas attendre.
Un temps suspendu comme un pont suspendu.
L’été se retient et moi, j’attends juillet.

Avant de m’endormir

Je voudrais bien monter sur un glacier. Un glacier bleu, pas un glacier pourri.
Une langue de glace qui fond dans le ciel au bout du chemin.

Je voudrais bien monter sur un lac. Un lac perdu, pas un lac rempli.
Un lac qui coule dans le ciel au bord de l’inquiétude.

Je voudrais bien monter sur un arbre. Un arbre immense, pas un arbre serré.
Un arbre qui touche le dos du ciel et ratisse les nuages.

Je voudrais bien monter sur le soir. Un soir en flammes, pas un soir pâle.
Un soir qui fait couler le ciel jusqu’au fond de la nuit.

Je voudrais avec elle m’assoir au bord de l’eau du monde.
Regarder comme c’était beau.

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